Projet d’avis de l’ASN relatif à l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de la centrale nucléaire de Flamanville (INB n° 167)
12/09/2017 23:09
Cuve EPR
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en consultation publique un projet d’avis relatif à
l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de cuve du réacteur EPR de
Flamanville (INB n°167).
L’élément essentiel de cet avis est sa première phrase :
« L’anomalie de la composition en carbone de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur
de Flamanville n’est pas de nature à remettre en cause la mise en service de celle-ci, sous réserve
des conditions suivantes ».
Rappelons que (Fiche pédagogique IRSN du 28 juin 2017, page 1) :
« La cuve fait partie des équipements dits « en exclusion de rupture ». Cela signifie que sa défaillance
et sa rupture ne sont pas postulées dans la démonstration de sûreté.
En conséquence, sa conception, sa fabrication et son suivi en service font l’objet de dispositions de
contrôle particulièrement exigeantes afin d’écarter le risque de rupture (règles de conception
spécifiques, procédés de fabrication et de contrôle permettant de démontrer l’obtention d’un très haut
niveau de fabrication, contrôles non destructifs renforcés en service… ».
1. COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
1.1 Une anomalie signalée récemment ?
Dans son introduction, le rapport ASN-IRSN (CODEP-DEP-2017-19368) nous dit simplement :
« Les calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont été fabriquées
en 2006 et 2007 par forgeage par l’usine Creusot Forge d’Areva NP.
Ces composant sont soumis à l’exigence de qualification technique de l’arrêté EPSN car ils
présentent un risque d’hétérogénéité de leurs caractéristiques.
Dans le cadre de cette qualification technique, Areva NP a mesuré des valeurs de résilienceiv
inférieures aux valeurs mentionnées par le point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSNv, ce qui l’a amené
en 2015 à proposer à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une démarche destinée à justifier le
caractère suffisant de la ténacité du matériau de ces composants, basée sur un programme d’essais
sur des calottes sacrificielles et les analyses de mécanique du risque de rupture brutale ».
2
Dans son communiqué de presse du 28 juin 2017, l’ASN précise qu’Areva a « mis en évidence » une
anomalie de la composition chimiquevi dans l’acier de ces équipements vitaux pour la sûreté du
réacteur à la fin de 2014. L’ASN rappelle qu’elle a rendu publique le 7 avril 2015 cette information.
On a donc le sentiment que cette affaire est relativement récente. Et on peut quand même s’interroger
sur le temps, presque dix ans, mis pour s’en apercevoir
1.2 Et pourtant…
• Dès 2005, l’ASNvii (BCCNviii) avait alerté EDF sur le fait que l’usine Creusot Forge connaissait de
sérieux problèmes de qualité. C’était avant la fabrication de la cuve de l’EPR :
« Dans le cadre de sa mission de contrôle de la fabrication des équipements sous pression
nucléaires, le BCCN a récemment constaté de nombreux écarts concernant le forgeron Creusot
Forge » et annonçait une inspection de Creusot Forge.
• Le rapport de février 2017 du HCTISNx permet de mieux connaître le déroulement des
choses partir de 2006 :
« Au cours de l’été 2006, l’ASN (BCCN) a posé un certain nombre de questions relatives aux
approvisionnements anticipés de la cuve de FA3xi, dont une sur la manière d’apporter la preuve de
l’homogénéité des propriétés mécaniques des calottes (lettre du 21 août).
Il a été répondu (lettre AREVA du 27 novembre) que ceci ferait l’objet des dossiers de Qualification
Technique, dont le contenu allait se discuter dans les semaines à venir, dans le cadre de la définition
des modalités d’application de l’EPSN ».
Il y avait donc déjà anguille sous roche…
« AREVA a produit plusieurs versions des Synthèses de Qualification technique des calottes. En ce qui
concerne la zone externe centrale, elles estimaient qu’après usinage, seules des ségrégations
résiduelles demeureraient, assurant des propriétés mécaniques conformes ».
• Le temps passe, « AREVA estimant que les exigences seraient satisfaites ». Il paraît cependant
nécessaire de recourir à des mesures expérimentales sur une pièce sacrificielle. Ce n’est qu’en
septembre 2014 que ces mesures expérimentales sur la carotte d’une pièce initialement prévue
pour un (possible) réacteur aux Etats-Unis ces mesures mettent en évidence les anomalies.
• Afin de bien préciser les responsabilités premières, le même rapport du HCTISN nous apprend
qu’AREVA a prélevé et analysé en 2007 plusieurs copeaux de matière sur les deux faces de
chacun des flans forgés (disques plats avant mise en forme) à l’origine des deux calottes
(couvercle et fond de la cuve de FA3) : "Sur le côté tête, les deux prélèvement effectués sur la
calotte supérieure ont donné des valeurs de concentration de carbone élevées (0,265% et 0,277%)
qui auraient pu amener à s’interroger dès 2007 sur la présence de ségrégations majeures
positives. Ces valeurs apparaissent en 2007 dans la version B du dossier de synthèse de la
qualification M140 en référence (23) mais le procès-verbal d’essais annexé (page 117/140)
indique que les résultats sont conformes ».
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• De nouveau, en 2013, des tests supplémentaires réalisés en 2013 avaient donné des résultats
avoisinant les 45 J (pour la résilience) au lieu des 60J prévus par la réglementation. Le rapport du
HCTISN précise que ni l’ASN, ni EDF n’avaient été prévenus de ces mauvais résultats.
• Enfin, le rapport CODEP déjà cité nous dit en page 19 :
«Fin 2014, Areva NP a informé l’ASN de résultats d‘essais de résilience plus faibles qu’attendu. Les
essais ont été réalisés dans le cadre de la qualification technique, sur des éprouvettes prélevées sur
une calotte destinée initialement à un projet de réacteur EPR aux Etats-Unisxii, dénommée calotte
supérieure UA, a priori représentative de celles destinées à la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
Les valeurs mesurées à 0° C sur deux séries de trois éprouvettes présentaient une valeur minimale de
36 J (Joule) et une valeur moyenne de 52 J ne permettant pas d’atteindre la qualité alors attendue par
Areva NP. Ces valeurs sont également inférieures à la valeur de résilience de 60 J mentionnée au
point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSN en référence (3)xiii ».
Il faudra donc attendre avril 2015 pour que l’ASN rende publique l’information sur la non
conformité des calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
1.3 Le jugement de l’Autorité de Sûreté tombe :
Dans sa lettre du 14 décembre 2015xiv au président d’Areva, le président de l’ASN écrit :
« Je considère que le dossier de qualification technique que vous avez présenté pour les calottes du
fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux
ségrégations majeures positives résiduelles, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et
ses conséquences mal quantifiées.
Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez
pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de
l’EPR ».
La sanction est tombée. Dans ces conditions, la mise en service de la cuve de l’EPR ne peut pas
être autorisée.
Mais, dans la même lettre, le président de l’ASN propose une voie détournée que nous allons
examiner au chapitre suivant :
« Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de
l’environnement ».
1.4 Sur le couvercle de cuve
Un paragraphe étonnant apparaît dans la lettre du 14 décembre 2015 :
« Je note que vous envisagez de poursuivre les opérations de fabrication sur le couvercle (épreuve
hydraulique, soudage des fermetures d’adaptateurs d’instrumentation, expédition sur site, habillage,
calorifugeage… ) sans attendre les résultats des essais qui seront réalisés sur les calottes
sacrificielles ».
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Surprenant en effet quand on sait que la cuve a été installée dans le réacteur en janvier 2014. Cela
signifie par conséquent que la cuve installée à cette date possédait un couvercle « factice » qui n’était
pas le couvercle prévu. En effet, on apprend par ailleurs que le « vrai » couvercle n’a été livré sur le
site de Flamanville que le 16 février 2016 et a été installé ensuite, alors que les défauts de cette pièce
étaient prouvés et que la qualification technique n’était pas acceptée.
1.5 Et, pendant ce temps là, EDF fait comme si de rien n’était
EDF a évidemment été parfaitement au fait de ces évolutions depuis le début puisqu’il est le client
d’Areva pour la fourniture de la cuve du réacteur.
Malgré tous ces avertissements, la cuve du réacteur est livrée sur le site de Flamanville en octobre
2013 et installée dans le bâtiment réacteur en janvier 2014, tandis que le dôme du bâtiment réacteur a
été installé en juillet 2013.
A toutes les interrogations sur les anomalies de pièces de la cuve, EDF répond qu’il n’y a pas de
problème, qu’il n’y a pas de « Plan B » et que le démarrage est prévu pour 2016 (date reportée depuis
à 2018). Et, comme nous venons de le voir, EDF a installé le couvercle de cuve « défaillant » en
février 2016.
2. UNE PROCEDURE DEROGATOIRE INACCEPTABLE
2.1 Une nouvelle procédure bien opportune
Pourquoi un tel excès de confiance de la part d’Areva et surtout d’EDF qui est, après tout, le premier
responsable de la sûreté de ses réacteurs et qui a réussi à créer un « fait accompli » en installant la
cuve de l’EPR alors que la qualification technique n’était pas reconnue ?
Cela parce que, très opportunément, un décret du 1er juillet 2015xv et son arrêté d’application du 30
décembre 2015xvi relatif aux équipements sous pression nucléaires, dont font partie les cuves des
réacteurs, fait bénéficier d’un régime dérogatoire l’application des règles de conformité des
équipements sous pression nucléaires.
On lit en effet dans l’article 9 de cet arrêté :
« En application de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement, en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou
limités, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, par décision prise après avis de la Commission centrale
des appareils à pression, autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un
équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des
exigences des articles L.557-4 et L.557-5 du code de l’environnement, du chapitre VII du titre V de la
partie réglementaire du code de l’environnement et du présent arrêté ».
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La cuve de l’EPR se trouve dans cette situation et l’avis de l’ASN soumis à la consultation constitue
de fait une réponse anticipée à la demande de dérogation que ne manquerons pas de faire EDF et
Areva (ou EDF seul en fonction de l’évolution du montage industriel d’absorption par EDF d’Areva
NP).
Il est difficile de ne pas voir dans la publication de ce décret, signé par le premier ministre et les
ministres concernées, et de son arrêté d’application, l’invention d’une procédure ad hoc pour éviter
des difficultés à EDF et Areva.
2.2 Une telle procédure de dérogation est inacceptable à plusieurs titres
a) Dans son principe, cette procédure dérogatoire est dangereuse car elle crée un précédent que les
exploitants et les fournisseurs d’équipements ne manqueront pas d’utiliser, et cela d’autant plus
facilement que les conditions laissent une large part à l’arbitraire : « … en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée… ».
On peut d’ailleurs sur ce point s’interroger sur la légitimité institutionnelle de l’Autorité de sûreté
nucléaire à porter un jugement sur un critère (la difficulté particulière) qui ne relèverait pas de la
sûreté nucléaire, ce qui serait très probablement le cas le plus fréquent.
Ce texte est d’autre part très imprécis sur les conditions de son application : le demandeur doit assurer
notamment que les risques sont suffisamment « prévenus ou limités », ce qui laisse une très large
marge d’appréciation.
On imagine très bien que d’autres secteurs industriels pourraient à leur tour obtenir une telle
procédure, avec les dégâts et les risques qu’une telle décision entraînerait.
b) Dans le cas du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR de Flamanville, une telle dérogation n’est
pas acceptable car elle porte sur deux éléments de la cuve du réacteur, dont la rupture pourrait
provoquer un accident grave, voire majeur (rupture qui, on l’a vu, est exclue des études de sûreté). Le
risque de rupture brutale de la cuve, accident considéré « par définition » comme impossible
(exclusion de rupture) est bien analysé dans le document CODEP déjà cité. Le risque n’est donc pas a
priori limité et par conséquent la demande de dérogation devrait être refusée.
Cette question du risque est d’ailleurs mise en évidence par l’une des conditions formulées dans l’avis
de l’ASN : « L’utilisation du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ne pourra être
autorisée au-delà du 31 décembre 2024 ».
On ne saurait mieux admettre que cette pièce est défaillante puisqu’il va falloir la remplacer à court
terme. C’est reconnaître que le réacteur EPR, s’il démarre avant 2024, fonctionnerait pendant plusieurs
années en état de sûreté dégradé, ce qui n’est pas acceptable.
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c) Toujours dans le cas des deux calottes de la cuve de l’EPR, quelle est la « difficulté particulière »
qui conduit à la demande de dérogation ?
C’est le fait que l’exploitant EDF a créé une situation considérée comme irréversible en acceptant et
installant la cuve alors que la défaillance de deux de ses éléments était connue. Et que, évidemment, il
serait très onéreux et cause de retard dans le démarrage de l’EPR de réaliser le remplacement des
éléments défaillants.
La « difficulté particulière » est d’ordre économique et industriel et largement due au comportement
des deux grands opérateurs concernés, Areva et EDF.
D’ailleurs, ASN et IRSN confirment ce constat dans l’introduction du rapport CODEP déjà citéxvii :
« Areva NP estime que l’approvisionnement d’un nouveau couvercle et le remplacement de l’actuel,
qui est une opération qui a déjà été réalisée sur plusieurs réacteurs, nécessite au moins 75 mois.
Areva NP et EDF ont également étudié la possibilité de remettre en conformité le fond de la cuve et
estiment que les conséquences seraient disproportionnées en termes de coût, de délai et de
conséquences sur le modèle de réacteur EPR et sur la filière nucléaire ».
Cette opinion des deux opérateurs directement concernés et directement responsables de cette situation
de risque semble bien être acceptée sans discussion. Il est clair en tout cas qu’elle est bien de caractère
économique et de politique industrielle.
Il n’est pas certain que « l’avenir de la filière » soit conforté par l’acceptation d’une telle défaillance
sur un réacteur considéré comme un prototype et soit préférable à l’admission et la correction d’une
erreur qui pourrait avoir des conséquences graves.
De plus, la perte de confiance qui résulterait d’une telle dérogation vis-à-vis des opérateurs (celle-ci
est déjà bien ébranlée) et surtout vis-à-vis des organismes des organismes de contrôle de la sûreté
comme des responsables politiques est sans doute plus grave que les considérations de pouvoir et
d’argent qui ont conduit à une telle orientation.
Nous rejoignons l’opinion de MM. Marignac et Autret exprimée dans leur avis minoritaire sur le
Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (26-27 juin
2017) présenté ci-dessous.
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret
« Les éléments fournis par Areva NP pour justifier de l’aptitude au service de la cuve, bien qu’ils
soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la
caractérisation du matériau, à l’exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des
hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone
ségrégée vis-à-vis du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport
aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.
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Le non respect de l’exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par
sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le
caractère tardif des la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la
cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de
cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.
La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas
les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et
débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la
résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.
Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges
perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.
Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l’éventuelle mise en service de la cuve. A cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible ».
Après une dizaine d’années d’atermoiements, on aboutit au résultat que le couvercle et le fond de cuve de l’EPR de Flamanville en
construction, pièces dont la qualité de fabrication est essentielle pour la sûreté du réacteur, ne sont pas conformes et devraient, si l’on respecte la réglementation, être rejetées.
De façon opportune, en juillet puis décembre 2015, une nouvelle procédure de dérogation à l’application de la réglementation a permis de contourner l’obstacle et a conduit l’ASN à émettre un avis favorable à la mise en service de la cuve de l’EPR, sous certaines conditions elles-mêmes discutables.
La dérogation qu’implique de fait l’avis de l’ASN n’est pas acceptable, ni dans son principe, ni dans le cas de la cuve de l’EPR, ce qui me conduit à demander le retrait de cet avis.
La mise en service de la cuve de l’EPR du réacteur en construction de Flamanville, en l’état, ne doit pas être autorisée.
12/09/2017 23:09
Cuve EPR
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en consultation publique un projet d’avis relatif à
l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de cuve du réacteur EPR de
Flamanville (INB n°167).
L’élément essentiel de cet avis est sa première phrase :
« L’anomalie de la composition en carbone de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur
de Flamanville n’est pas de nature à remettre en cause la mise en service de celle-ci, sous réserve
des conditions suivantes ».
Rappelons que (Fiche pédagogique IRSN du 28 juin 2017, page 1) :
« La cuve fait partie des équipements dits « en exclusion de rupture ». Cela signifie que sa défaillance
et sa rupture ne sont pas postulées dans la démonstration de sûreté.
En conséquence, sa conception, sa fabrication et son suivi en service font l’objet de dispositions de
contrôle particulièrement exigeantes afin d’écarter le risque de rupture (règles de conception
spécifiques, procédés de fabrication et de contrôle permettant de démontrer l’obtention d’un très haut
niveau de fabrication, contrôles non destructifs renforcés en service… ».
1. COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
1.1 Une anomalie signalée récemment ?
Dans son introduction, le rapport ASN-IRSN (CODEP-DEP-2017-19368) nous dit simplement :
« Les calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont été fabriquées
en 2006 et 2007 par forgeage par l’usine Creusot Forge d’Areva NP.
Ces composant sont soumis à l’exigence de qualification technique de l’arrêté EPSN car ils
présentent un risque d’hétérogénéité de leurs caractéristiques.
Dans le cadre de cette qualification technique, Areva NP a mesuré des valeurs de résilienceiv
inférieures aux valeurs mentionnées par le point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSNv, ce qui l’a amené
en 2015 à proposer à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une démarche destinée à justifier le
caractère suffisant de la ténacité du matériau de ces composants, basée sur un programme d’essais
sur des calottes sacrificielles et les analyses de mécanique du risque de rupture brutale ».
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Dans son communiqué de presse du 28 juin 2017, l’ASN précise qu’Areva a « mis en évidence » une
anomalie de la composition chimiquevi dans l’acier de ces équipements vitaux pour la sûreté du
réacteur à la fin de 2014. L’ASN rappelle qu’elle a rendu publique le 7 avril 2015 cette information.
On a donc le sentiment que cette affaire est relativement récente. Et on peut quand même s’interroger
sur le temps, presque dix ans, mis pour s’en apercevoir
1.2 Et pourtant…
• Dès 2005, l’ASNvii (BCCNviii) avait alerté EDF sur le fait que l’usine Creusot Forge connaissait de
sérieux problèmes de qualité. C’était avant la fabrication de la cuve de l’EPR :
« Dans le cadre de sa mission de contrôle de la fabrication des équipements sous pression
nucléaires, le BCCN a récemment constaté de nombreux écarts concernant le forgeron Creusot
Forge » et annonçait une inspection de Creusot Forge.
• Le rapport de février 2017 du HCTISNx permet de mieux connaître le déroulement des
choses partir de 2006 :
« Au cours de l’été 2006, l’ASN (BCCN) a posé un certain nombre de questions relatives aux
approvisionnements anticipés de la cuve de FA3xi, dont une sur la manière d’apporter la preuve de
l’homogénéité des propriétés mécaniques des calottes (lettre du 21 août).
Il a été répondu (lettre AREVA du 27 novembre) que ceci ferait l’objet des dossiers de Qualification
Technique, dont le contenu allait se discuter dans les semaines à venir, dans le cadre de la définition
des modalités d’application de l’EPSN ».
Il y avait donc déjà anguille sous roche…
« AREVA a produit plusieurs versions des Synthèses de Qualification technique des calottes. En ce qui
concerne la zone externe centrale, elles estimaient qu’après usinage, seules des ségrégations
résiduelles demeureraient, assurant des propriétés mécaniques conformes ».
• Le temps passe, « AREVA estimant que les exigences seraient satisfaites ». Il paraît cependant
nécessaire de recourir à des mesures expérimentales sur une pièce sacrificielle. Ce n’est qu’en
septembre 2014 que ces mesures expérimentales sur la carotte d’une pièce initialement prévue
pour un (possible) réacteur aux Etats-Unis ces mesures mettent en évidence les anomalies.
• Afin de bien préciser les responsabilités premières, le même rapport du HCTISN nous apprend
qu’AREVA a prélevé et analysé en 2007 plusieurs copeaux de matière sur les deux faces de
chacun des flans forgés (disques plats avant mise en forme) à l’origine des deux calottes
(couvercle et fond de la cuve de FA3) : "Sur le côté tête, les deux prélèvement effectués sur la
calotte supérieure ont donné des valeurs de concentration de carbone élevées (0,265% et 0,277%)
qui auraient pu amener à s’interroger dès 2007 sur la présence de ségrégations majeures
positives. Ces valeurs apparaissent en 2007 dans la version B du dossier de synthèse de la
qualification M140 en référence (23) mais le procès-verbal d’essais annexé (page 117/140)
indique que les résultats sont conformes ».
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• De nouveau, en 2013, des tests supplémentaires réalisés en 2013 avaient donné des résultats
avoisinant les 45 J (pour la résilience) au lieu des 60J prévus par la réglementation. Le rapport du
HCTISN précise que ni l’ASN, ni EDF n’avaient été prévenus de ces mauvais résultats.
• Enfin, le rapport CODEP déjà cité nous dit en page 19 :
«Fin 2014, Areva NP a informé l’ASN de résultats d‘essais de résilience plus faibles qu’attendu. Les
essais ont été réalisés dans le cadre de la qualification technique, sur des éprouvettes prélevées sur
une calotte destinée initialement à un projet de réacteur EPR aux Etats-Unisxii, dénommée calotte
supérieure UA, a priori représentative de celles destinées à la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
Les valeurs mesurées à 0° C sur deux séries de trois éprouvettes présentaient une valeur minimale de
36 J (Joule) et une valeur moyenne de 52 J ne permettant pas d’atteindre la qualité alors attendue par
Areva NP. Ces valeurs sont également inférieures à la valeur de résilience de 60 J mentionnée au
point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSN en référence (3)xiii ».
Il faudra donc attendre avril 2015 pour que l’ASN rende publique l’information sur la non
conformité des calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
1.3 Le jugement de l’Autorité de Sûreté tombe :
Dans sa lettre du 14 décembre 2015xiv au président d’Areva, le président de l’ASN écrit :
« Je considère que le dossier de qualification technique que vous avez présenté pour les calottes du
fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux
ségrégations majeures positives résiduelles, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et
ses conséquences mal quantifiées.
Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez
pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de
l’EPR ».
La sanction est tombée. Dans ces conditions, la mise en service de la cuve de l’EPR ne peut pas
être autorisée.
Mais, dans la même lettre, le président de l’ASN propose une voie détournée que nous allons
examiner au chapitre suivant :
« Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de
l’environnement ».
1.4 Sur le couvercle de cuve
Un paragraphe étonnant apparaît dans la lettre du 14 décembre 2015 :
« Je note que vous envisagez de poursuivre les opérations de fabrication sur le couvercle (épreuve
hydraulique, soudage des fermetures d’adaptateurs d’instrumentation, expédition sur site, habillage,
calorifugeage… ) sans attendre les résultats des essais qui seront réalisés sur les calottes
sacrificielles ».
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Surprenant en effet quand on sait que la cuve a été installée dans le réacteur en janvier 2014. Cela
signifie par conséquent que la cuve installée à cette date possédait un couvercle « factice » qui n’était
pas le couvercle prévu. En effet, on apprend par ailleurs que le « vrai » couvercle n’a été livré sur le
site de Flamanville que le 16 février 2016 et a été installé ensuite, alors que les défauts de cette pièce
étaient prouvés et que la qualification technique n’était pas acceptée.
1.5 Et, pendant ce temps là, EDF fait comme si de rien n’était
EDF a évidemment été parfaitement au fait de ces évolutions depuis le début puisqu’il est le client
d’Areva pour la fourniture de la cuve du réacteur.
Malgré tous ces avertissements, la cuve du réacteur est livrée sur le site de Flamanville en octobre
2013 et installée dans le bâtiment réacteur en janvier 2014, tandis que le dôme du bâtiment réacteur a
été installé en juillet 2013.
A toutes les interrogations sur les anomalies de pièces de la cuve, EDF répond qu’il n’y a pas de
problème, qu’il n’y a pas de « Plan B » et que le démarrage est prévu pour 2016 (date reportée depuis
à 2018). Et, comme nous venons de le voir, EDF a installé le couvercle de cuve « défaillant » en
février 2016.
2. UNE PROCEDURE DEROGATOIRE INACCEPTABLE
2.1 Une nouvelle procédure bien opportune
Pourquoi un tel excès de confiance de la part d’Areva et surtout d’EDF qui est, après tout, le premier
responsable de la sûreté de ses réacteurs et qui a réussi à créer un « fait accompli » en installant la
cuve de l’EPR alors que la qualification technique n’était pas reconnue ?
Cela parce que, très opportunément, un décret du 1er juillet 2015xv et son arrêté d’application du 30
décembre 2015xvi relatif aux équipements sous pression nucléaires, dont font partie les cuves des
réacteurs, fait bénéficier d’un régime dérogatoire l’application des règles de conformité des
équipements sous pression nucléaires.
On lit en effet dans l’article 9 de cet arrêté :
« En application de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement, en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou
limités, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, par décision prise après avis de la Commission centrale
des appareils à pression, autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un
équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des
exigences des articles L.557-4 et L.557-5 du code de l’environnement, du chapitre VII du titre V de la
partie réglementaire du code de l’environnement et du présent arrêté ».
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La cuve de l’EPR se trouve dans cette situation et l’avis de l’ASN soumis à la consultation constitue
de fait une réponse anticipée à la demande de dérogation que ne manquerons pas de faire EDF et
Areva (ou EDF seul en fonction de l’évolution du montage industriel d’absorption par EDF d’Areva
NP).
Il est difficile de ne pas voir dans la publication de ce décret, signé par le premier ministre et les
ministres concernées, et de son arrêté d’application, l’invention d’une procédure ad hoc pour éviter
des difficultés à EDF et Areva.
2.2 Une telle procédure de dérogation est inacceptable à plusieurs titres
a) Dans son principe, cette procédure dérogatoire est dangereuse car elle crée un précédent que les
exploitants et les fournisseurs d’équipements ne manqueront pas d’utiliser, et cela d’autant plus
facilement que les conditions laissent une large part à l’arbitraire : « … en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée… ».
On peut d’ailleurs sur ce point s’interroger sur la légitimité institutionnelle de l’Autorité de sûreté
nucléaire à porter un jugement sur un critère (la difficulté particulière) qui ne relèverait pas de la
sûreté nucléaire, ce qui serait très probablement le cas le plus fréquent.
Ce texte est d’autre part très imprécis sur les conditions de son application : le demandeur doit assurer
notamment que les risques sont suffisamment « prévenus ou limités », ce qui laisse une très large
marge d’appréciation.
On imagine très bien que d’autres secteurs industriels pourraient à leur tour obtenir une telle
procédure, avec les dégâts et les risques qu’une telle décision entraînerait.
b) Dans le cas du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR de Flamanville, une telle dérogation n’est
pas acceptable car elle porte sur deux éléments de la cuve du réacteur, dont la rupture pourrait
provoquer un accident grave, voire majeur (rupture qui, on l’a vu, est exclue des études de sûreté). Le
risque de rupture brutale de la cuve, accident considéré « par définition » comme impossible
(exclusion de rupture) est bien analysé dans le document CODEP déjà cité. Le risque n’est donc pas a
priori limité et par conséquent la demande de dérogation devrait être refusée.
Cette question du risque est d’ailleurs mise en évidence par l’une des conditions formulées dans l’avis
de l’ASN : « L’utilisation du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ne pourra être
autorisée au-delà du 31 décembre 2024 ».
On ne saurait mieux admettre que cette pièce est défaillante puisqu’il va falloir la remplacer à court
terme. C’est reconnaître que le réacteur EPR, s’il démarre avant 2024, fonctionnerait pendant plusieurs
années en état de sûreté dégradé, ce qui n’est pas acceptable.
6
c) Toujours dans le cas des deux calottes de la cuve de l’EPR, quelle est la « difficulté particulière »
qui conduit à la demande de dérogation ?
C’est le fait que l’exploitant EDF a créé une situation considérée comme irréversible en acceptant et
installant la cuve alors que la défaillance de deux de ses éléments était connue. Et que, évidemment, il
serait très onéreux et cause de retard dans le démarrage de l’EPR de réaliser le remplacement des
éléments défaillants.
La « difficulté particulière » est d’ordre économique et industriel et largement due au comportement
des deux grands opérateurs concernés, Areva et EDF.
D’ailleurs, ASN et IRSN confirment ce constat dans l’introduction du rapport CODEP déjà citéxvii :
« Areva NP estime que l’approvisionnement d’un nouveau couvercle et le remplacement de l’actuel,
qui est une opération qui a déjà été réalisée sur plusieurs réacteurs, nécessite au moins 75 mois.
Areva NP et EDF ont également étudié la possibilité de remettre en conformité le fond de la cuve et
estiment que les conséquences seraient disproportionnées en termes de coût, de délai et de
conséquences sur le modèle de réacteur EPR et sur la filière nucléaire ».
Cette opinion des deux opérateurs directement concernés et directement responsables de cette situation
de risque semble bien être acceptée sans discussion. Il est clair en tout cas qu’elle est bien de caractère
économique et de politique industrielle.
Il n’est pas certain que « l’avenir de la filière » soit conforté par l’acceptation d’une telle défaillance
sur un réacteur considéré comme un prototype et soit préférable à l’admission et la correction d’une
erreur qui pourrait avoir des conséquences graves.
De plus, la perte de confiance qui résulterait d’une telle dérogation vis-à-vis des opérateurs (celle-ci
est déjà bien ébranlée) et surtout vis-à-vis des organismes des organismes de contrôle de la sûreté
comme des responsables politiques est sans doute plus grave que les considérations de pouvoir et
d’argent qui ont conduit à une telle orientation.
Nous rejoignons l’opinion de MM. Marignac et Autret exprimée dans leur avis minoritaire sur le
Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (26-27 juin
2017) présenté ci-dessous.
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret
« Les éléments fournis par Areva NP pour justifier de l’aptitude au service de la cuve, bien qu’ils
soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la
caractérisation du matériau, à l’exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des
hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone
ségrégée vis-à-vis du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport
aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.
7
Le non respect de l’exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par
sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le
caractère tardif des la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la
cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de
cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.
La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas
les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et
débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la
résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.
Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges
perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.
Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l’éventuelle mise en service de la cuve. A cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible ».
Après une dizaine d’années d’atermoiements, on aboutit au résultat que le couvercle et le fond de cuve de l’EPR de Flamanville en
construction, pièces dont la qualité de fabrication est essentielle pour la sûreté du réacteur, ne sont pas conformes et devraient, si l’on respecte la réglementation, être rejetées.
De façon opportune, en juillet puis décembre 2015, une nouvelle procédure de dérogation à l’application de la réglementation a permis de contourner l’obstacle et a conduit l’ASN à émettre un avis favorable à la mise en service de la cuve de l’EPR, sous certaines conditions elles-mêmes discutables.
La dérogation qu’implique de fait l’avis de l’ASN n’est pas acceptable, ni dans son principe, ni dans le cas de la cuve de l’EPR, ce qui me conduit à demander le retrait de cet avis.
La mise en service de la cuve de l’EPR du réacteur en construction de Flamanville, en l’état, ne doit pas être autorisée.
12/09/2017 23:09
Cuve EPR
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en consultation publique un projet d’avis relatif à
l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de cuve du réacteur EPR de
Flamanville (INB n°167).
L’élément essentiel de cet avis est sa première phrase :
« L’anomalie de la composition en carbone de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur
de Flamanville n’est pas de nature à remettre en cause la mise en service de celle-ci, sous réserve
des conditions suivantes ».
Rappelons que (Fiche pédagogique IRSN du 28 juin 2017, page 1) :
« La cuve fait partie des équipements dits « en exclusion de rupture ». Cela signifie que sa défaillance
et sa rupture ne sont pas postulées dans la démonstration de sûreté.
En conséquence, sa conception, sa fabrication et son suivi en service font l’objet de dispositions de
contrôle particulièrement exigeantes afin d’écarter le risque de rupture (règles de conception
spécifiques, procédés de fabrication et de contrôle permettant de démontrer l’obtention d’un très haut
niveau de fabrication, contrôles non destructifs renforcés en service… ».
1. COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
1.1 Une anomalie signalée récemment ?
Dans son introduction, le rapport ASN-IRSN (CODEP-DEP-2017-19368) nous dit simplement :
« Les calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont été fabriquées
en 2006 et 2007 par forgeage par l’usine Creusot Forge d’Areva NP.
Ces composant sont soumis à l’exigence de qualification technique de l’arrêté EPSN car ils
présentent un risque d’hétérogénéité de leurs caractéristiques.
Dans le cadre de cette qualification technique, Areva NP a mesuré des valeurs de résilienceiv
inférieures aux valeurs mentionnées par le point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSNv, ce qui l’a amené
en 2015 à proposer à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une démarche destinée à justifier le
caractère suffisant de la ténacité du matériau de ces composants, basée sur un programme d’essais
sur des calottes sacrificielles et les analyses de mécanique du risque de rupture brutale ».
2
Dans son communiqué de presse du 28 juin 2017, l’ASN précise qu’Areva a « mis en évidence » une
anomalie de la composition chimiquevi dans l’acier de ces équipements vitaux pour la sûreté du
réacteur à la fin de 2014. L’ASN rappelle qu’elle a rendu publique le 7 avril 2015 cette information.
On a donc le sentiment que cette affaire est relativement récente. Et on peut quand même s’interroger
sur le temps, presque dix ans, mis pour s’en apercevoir
1.2 Et pourtant…
• Dès 2005, l’ASNvii (BCCNviii) avait alerté EDF sur le fait que l’usine Creusot Forge connaissait de
sérieux problèmes de qualité. C’était avant la fabrication de la cuve de l’EPR :
« Dans le cadre de sa mission de contrôle de la fabrication des équipements sous pression
nucléaires, le BCCN a récemment constaté de nombreux écarts concernant le forgeron Creusot
Forge » et annonçait une inspection de Creusot Forge.
• Le rapport de février 2017 du HCTISNx permet de mieux connaître le déroulement des
choses partir de 2006 :
« Au cours de l’été 2006, l’ASN (BCCN) a posé un certain nombre de questions relatives aux
approvisionnements anticipés de la cuve de FA3xi, dont une sur la manière d’apporter la preuve de
l’homogénéité des propriétés mécaniques des calottes (lettre du 21 août).
Il a été répondu (lettre AREVA du 27 novembre) que ceci ferait l’objet des dossiers de Qualification
Technique, dont le contenu allait se discuter dans les semaines à venir, dans le cadre de la définition
des modalités d’application de l’EPSN ».
Il y avait donc déjà anguille sous roche…
« AREVA a produit plusieurs versions des Synthèses de Qualification technique des calottes. En ce qui
concerne la zone externe centrale, elles estimaient qu’après usinage, seules des ségrégations
résiduelles demeureraient, assurant des propriétés mécaniques conformes ».
• Le temps passe, « AREVA estimant que les exigences seraient satisfaites ». Il paraît cependant
nécessaire de recourir à des mesures expérimentales sur une pièce sacrificielle. Ce n’est qu’en
septembre 2014 que ces mesures expérimentales sur la carotte d’une pièce initialement prévue
pour un (possible) réacteur aux Etats-Unis ces mesures mettent en évidence les anomalies.
• Afin de bien préciser les responsabilités premières, le même rapport du HCTISN nous apprend
qu’AREVA a prélevé et analysé en 2007 plusieurs copeaux de matière sur les deux faces de
chacun des flans forgés (disques plats avant mise en forme) à l’origine des deux calottes
(couvercle et fond de la cuve de FA3) : "Sur le côté tête, les deux prélèvement effectués sur la
calotte supérieure ont donné des valeurs de concentration de carbone élevées (0,265% et 0,277%)
qui auraient pu amener à s’interroger dès 2007 sur la présence de ségrégations majeures
positives. Ces valeurs apparaissent en 2007 dans la version B du dossier de synthèse de la
qualification M140 en référence (23) mais le procès-verbal d’essais annexé (page 117/140)
indique que les résultats sont conformes ».
3
• De nouveau, en 2013, des tests supplémentaires réalisés en 2013 avaient donné des résultats
avoisinant les 45 J (pour la résilience) au lieu des 60J prévus par la réglementation. Le rapport du
HCTISN précise que ni l’ASN, ni EDF n’avaient été prévenus de ces mauvais résultats.
• Enfin, le rapport CODEP déjà cité nous dit en page 19 :
«Fin 2014, Areva NP a informé l’ASN de résultats d‘essais de résilience plus faibles qu’attendu. Les
essais ont été réalisés dans le cadre de la qualification technique, sur des éprouvettes prélevées sur
une calotte destinée initialement à un projet de réacteur EPR aux Etats-Unisxii, dénommée calotte
supérieure UA, a priori représentative de celles destinées à la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
Les valeurs mesurées à 0° C sur deux séries de trois éprouvettes présentaient une valeur minimale de
36 J (Joule) et une valeur moyenne de 52 J ne permettant pas d’atteindre la qualité alors attendue par
Areva NP. Ces valeurs sont également inférieures à la valeur de résilience de 60 J mentionnée au
point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSN en référence (3)xiii ».
Il faudra donc attendre avril 2015 pour que l’ASN rende publique l’information sur la non
conformité des calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
1.3 Le jugement de l’Autorité de Sûreté tombe :
Dans sa lettre du 14 décembre 2015xiv au président d’Areva, le président de l’ASN écrit :
« Je considère que le dossier de qualification technique que vous avez présenté pour les calottes du
fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux
ségrégations majeures positives résiduelles, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et
ses conséquences mal quantifiées.
Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez
pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de
l’EPR ».
La sanction est tombée. Dans ces conditions, la mise en service de la cuve de l’EPR ne peut pas
être autorisée.
Mais, dans la même lettre, le président de l’ASN propose une voie détournée que nous allons
examiner au chapitre suivant :
« Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de
l’environnement ».
1.4 Sur le couvercle de cuve
Un paragraphe étonnant apparaît dans la lettre du 14 décembre 2015 :
« Je note que vous envisagez de poursuivre les opérations de fabrication sur le couvercle (épreuve
hydraulique, soudage des fermetures d’adaptateurs d’instrumentation, expédition sur site, habillage,
calorifugeage… ) sans attendre les résultats des essais qui seront réalisés sur les calottes
sacrificielles ».
4
Surprenant en effet quand on sait que la cuve a été installée dans le réacteur en janvier 2014. Cela
signifie par conséquent que la cuve installée à cette date possédait un couvercle « factice » qui n’était
pas le couvercle prévu. En effet, on apprend par ailleurs que le « vrai » couvercle n’a été livré sur le
site de Flamanville que le 16 février 2016 et a été installé ensuite, alors que les défauts de cette pièce
étaient prouvés et que la qualification technique n’était pas acceptée.
1.5 Et, pendant ce temps là, EDF fait comme si de rien n’était
EDF a évidemment été parfaitement au fait de ces évolutions depuis le début puisqu’il est le client
d’Areva pour la fourniture de la cuve du réacteur.
Malgré tous ces avertissements, la cuve du réacteur est livrée sur le site de Flamanville en octobre
2013 et installée dans le bâtiment réacteur en janvier 2014, tandis que le dôme du bâtiment réacteur a
été installé en juillet 2013.
A toutes les interrogations sur les anomalies de pièces de la cuve, EDF répond qu’il n’y a pas de
problème, qu’il n’y a pas de « Plan B » et que le démarrage est prévu pour 2016 (date reportée depuis
à 2018). Et, comme nous venons de le voir, EDF a installé le couvercle de cuve « défaillant » en
février 2016.
2. UNE PROCEDURE DEROGATOIRE INACCEPTABLE
2.1 Une nouvelle procédure bien opportune
Pourquoi un tel excès de confiance de la part d’Areva et surtout d’EDF qui est, après tout, le premier
responsable de la sûreté de ses réacteurs et qui a réussi à créer un « fait accompli » en installant la
cuve de l’EPR alors que la qualification technique n’était pas reconnue ?
Cela parce que, très opportunément, un décret du 1er juillet 2015xv et son arrêté d’application du 30
décembre 2015xvi relatif aux équipements sous pression nucléaires, dont font partie les cuves des
réacteurs, fait bénéficier d’un régime dérogatoire l’application des règles de conformité des
équipements sous pression nucléaires.
On lit en effet dans l’article 9 de cet arrêté :
« En application de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement, en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou
limités, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, par décision prise après avis de la Commission centrale
des appareils à pression, autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un
équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des
exigences des articles L.557-4 et L.557-5 du code de l’environnement, du chapitre VII du titre V de la
partie réglementaire du code de l’environnement et du présent arrêté ».
5
La cuve de l’EPR se trouve dans cette situation et l’avis de l’ASN soumis à la consultation constitue
de fait une réponse anticipée à la demande de dérogation que ne manquerons pas de faire EDF et
Areva (ou EDF seul en fonction de l’évolution du montage industriel d’absorption par EDF d’Areva
NP).
Il est difficile de ne pas voir dans la publication de ce décret, signé par le premier ministre et les
ministres concernées, et de son arrêté d’application, l’invention d’une procédure ad hoc pour éviter
des difficultés à EDF et Areva.
2.2 Une telle procédure de dérogation est inacceptable à plusieurs titres
a) Dans son principe, cette procédure dérogatoire est dangereuse car elle crée un précédent que les
exploitants et les fournisseurs d’équipements ne manqueront pas d’utiliser, et cela d’autant plus
facilement que les conditions laissent une large part à l’arbitraire : « … en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée… ».
On peut d’ailleurs sur ce point s’interroger sur la légitimité institutionnelle de l’Autorité de sûreté
nucléaire à porter un jugement sur un critère (la difficulté particulière) qui ne relèverait pas de la
sûreté nucléaire, ce qui serait très probablement le cas le plus fréquent.
Ce texte est d’autre part très imprécis sur les conditions de son application : le demandeur doit assurer
notamment que les risques sont suffisamment « prévenus ou limités », ce qui laisse une très large
marge d’appréciation.
On imagine très bien que d’autres secteurs industriels pourraient à leur tour obtenir une telle
procédure, avec les dégâts et les risques qu’une telle décision entraînerait.
b) Dans le cas du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR de Flamanville, une telle dérogation n’est
pas acceptable car elle porte sur deux éléments de la cuve du réacteur, dont la rupture pourrait
provoquer un accident grave, voire majeur (rupture qui, on l’a vu, est exclue des études de sûreté). Le
risque de rupture brutale de la cuve, accident considéré « par définition » comme impossible
(exclusion de rupture) est bien analysé dans le document CODEP déjà cité. Le risque n’est donc pas a
priori limité et par conséquent la demande de dérogation devrait être refusée.
Cette question du risque est d’ailleurs mise en évidence par l’une des conditions formulées dans l’avis
de l’ASN : « L’utilisation du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ne pourra être
autorisée au-delà du 31 décembre 2024 ».
On ne saurait mieux admettre que cette pièce est défaillante puisqu’il va falloir la remplacer à court
terme. C’est reconnaître que le réacteur EPR, s’il démarre avant 2024, fonctionnerait pendant plusieurs
années en état de sûreté dégradé, ce qui n’est pas acceptable.
6
c) Toujours dans le cas des deux calottes de la cuve de l’EPR, quelle est la « difficulté particulière »
qui conduit à la demande de dérogation ?
C’est le fait que l’exploitant EDF a créé une situation considérée comme irréversible en acceptant et
installant la cuve alors que la défaillance de deux de ses éléments était connue. Et que, évidemment, il
serait très onéreux et cause de retard dans le démarrage de l’EPR de réaliser le remplacement des
éléments défaillants.
La « difficulté particulière » est d’ordre économique et industriel et largement due au comportement
des deux grands opérateurs concernés, Areva et EDF.
D’ailleurs, ASN et IRSN confirment ce constat dans l’introduction du rapport CODEP déjà citéxvii :
« Areva NP estime que l’approvisionnement d’un nouveau couvercle et le remplacement de l’actuel,
qui est une opération qui a déjà été réalisée sur plusieurs réacteurs, nécessite au moins 75 mois.
Areva NP et EDF ont également étudié la possibilité de remettre en conformité le fond de la cuve et
estiment que les conséquences seraient disproportionnées en termes de coût, de délai et de
conséquences sur le modèle de réacteur EPR et sur la filière nucléaire ».
Cette opinion des deux opérateurs directement concernés et directement responsables de cette situation
de risque semble bien être acceptée sans discussion. Il est clair en tout cas qu’elle est bien de caractère
économique et de politique industrielle.
Il n’est pas certain que « l’avenir de la filière » soit conforté par l’acceptation d’une telle défaillance
sur un réacteur considéré comme un prototype et soit préférable à l’admission et la correction d’une
erreur qui pourrait avoir des conséquences graves.
De plus, la perte de confiance qui résulterait d’une telle dérogation vis-à-vis des opérateurs (celle-ci
est déjà bien ébranlée) et surtout vis-à-vis des organismes des organismes de contrôle de la sûreté
comme des responsables politiques est sans doute plus grave que les considérations de pouvoir et
d’argent qui ont conduit à une telle orientation.
Nous rejoignons l’opinion de MM. Marignac et Autret exprimée dans leur avis minoritaire sur le
Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (26-27 juin
2017) présenté ci-dessous.
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret
« Les éléments fournis par Areva NP pour justifier de l’aptitude au service de la cuve, bien qu’ils
soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la
caractérisation du matériau, à l’exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des
hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone
ségrégée vis-à-vis du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport
aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.
7
Le non respect de l’exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par
sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le
caractère tardif des la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la
cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de
cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.
La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas
les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et
débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la
résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.
Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges
perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.
Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l’éventuelle mise en service de la cuve. A cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible ».
Après une dizaine d’années d’atermoiements, on aboutit au résultat que le couvercle et le fond de cuve de l’EPR de Flamanville en
construction, pièces dont la qualité de fabrication est essentielle pour la sûreté du réacteur, ne sont pas conformes et devraient, si l’on respecte la réglementation, être rejetées.
De façon opportune, en juillet puis décembre 2015, une nouvelle procédure de dérogation à l’application de la réglementation a permis de contourner l’obstacle et a conduit l’ASN à émettre un avis favorable à la mise en service de la cuve de l’EPR, sous certaines conditions elles-mêmes discutables.
La dérogation qu’implique de fait l’avis de l’ASN n’est pas acceptable, ni dans son principe, ni dans le cas de la cuve de l’EPR, ce qui me conduit à demander le retrait de cet avis.
La mise en service de la cuve de l’EPR du réacteur en construction de Flamanville, en l’état, ne doit pas être autorisée.
12/09/2017 23:09
Cuve EPR
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en consultation publique un projet d’avis relatif à
l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de cuve du réacteur EPR de
Flamanville (INB n°167).
L’élément essentiel de cet avis est sa première phrase :
« L’anomalie de la composition en carbone de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur
de Flamanville n’est pas de nature à remettre en cause la mise en service de celle-ci, sous réserve
des conditions suivantes ».
Rappelons que (Fiche pédagogique IRSN du 28 juin 2017, page 1) :
« La cuve fait partie des équipements dits « en exclusion de rupture ». Cela signifie que sa défaillance
et sa rupture ne sont pas postulées dans la démonstration de sûreté.
En conséquence, sa conception, sa fabrication et son suivi en service font l’objet de dispositions de
contrôle particulièrement exigeantes afin d’écarter le risque de rupture (règles de conception
spécifiques, procédés de fabrication et de contrôle permettant de démontrer l’obtention d’un très haut
niveau de fabrication, contrôles non destructifs renforcés en service… ».
1. COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
1.1 Une anomalie signalée récemment ?
Dans son introduction, le rapport ASN-IRSN (CODEP-DEP-2017-19368) nous dit simplement :
« Les calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont été fabriquées
en 2006 et 2007 par forgeage par l’usine Creusot Forge d’Areva NP.
Ces composant sont soumis à l’exigence de qualification technique de l’arrêté EPSN car ils
présentent un risque d’hétérogénéité de leurs caractéristiques.
Dans le cadre de cette qualification technique, Areva NP a mesuré des valeurs de résilienceiv
inférieures aux valeurs mentionnées par le point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSNv, ce qui l’a amené
en 2015 à proposer à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une démarche destinée à justifier le
caractère suffisant de la ténacité du matériau de ces composants, basée sur un programme d’essais
sur des calottes sacrificielles et les analyses de mécanique du risque de rupture brutale ».
2
Dans son communiqué de presse du 28 juin 2017, l’ASN précise qu’Areva a « mis en évidence » une
anomalie de la composition chimiquevi dans l’acier de ces équipements vitaux pour la sûreté du
réacteur à la fin de 2014. L’ASN rappelle qu’elle a rendu publique le 7 avril 2015 cette information.
On a donc le sentiment que cette affaire est relativement récente. Et on peut quand même s’interroger
sur le temps, presque dix ans, mis pour s’en apercevoir
1.2 Et pourtant…
• Dès 2005, l’ASNvii (BCCNviii) avait alerté EDF sur le fait que l’usine Creusot Forge connaissait de
sérieux problèmes de qualité. C’était avant la fabrication de la cuve de l’EPR :
« Dans le cadre de sa mission de contrôle de la fabrication des équipements sous pression
nucléaires, le BCCN a récemment constaté de nombreux écarts concernant le forgeron Creusot
Forge » et annonçait une inspection de Creusot Forge.
• Le rapport de février 2017 du HCTISNx permet de mieux connaître le déroulement des
choses partir de 2006 :
« Au cours de l’été 2006, l’ASN (BCCN) a posé un certain nombre de questions relatives aux
approvisionnements anticipés de la cuve de FA3xi, dont une sur la manière d’apporter la preuve de
l’homogénéité des propriétés mécaniques des calottes (lettre du 21 août).
Il a été répondu (lettre AREVA du 27 novembre) que ceci ferait l’objet des dossiers de Qualification
Technique, dont le contenu allait se discuter dans les semaines à venir, dans le cadre de la définition
des modalités d’application de l’EPSN ».
Il y avait donc déjà anguille sous roche…
« AREVA a produit plusieurs versions des Synthèses de Qualification technique des calottes. En ce qui
concerne la zone externe centrale, elles estimaient qu’après usinage, seules des ségrégations
résiduelles demeureraient, assurant des propriétés mécaniques conformes ».
• Le temps passe, « AREVA estimant que les exigences seraient satisfaites ». Il paraît cependant
nécessaire de recourir à des mesures expérimentales sur une pièce sacrificielle. Ce n’est qu’en
septembre 2014 que ces mesures expérimentales sur la carotte d’une pièce initialement prévue
pour un (possible) réacteur aux Etats-Unis ces mesures mettent en évidence les anomalies.
• Afin de bien préciser les responsabilités premières, le même rapport du HCTISN nous apprend
qu’AREVA a prélevé et analysé en 2007 plusieurs copeaux de matière sur les deux faces de
chacun des flans forgés (disques plats avant mise en forme) à l’origine des deux calottes
(couvercle et fond de la cuve de FA3) : "Sur le côté tête, les deux prélèvement effectués sur la
calotte supérieure ont donné des valeurs de concentration de carbone élevées (0,265% et 0,277%)
qui auraient pu amener à s’interroger dès 2007 sur la présence de ségrégations majeures
positives. Ces valeurs apparaissent en 2007 dans la version B du dossier de synthèse de la
qualification M140 en référence (23) mais le procès-verbal d’essais annexé (page 117/140)
indique que les résultats sont conformes ».
3
• De nouveau, en 2013, des tests supplémentaires réalisés en 2013 avaient donné des résultats
avoisinant les 45 J (pour la résilience) au lieu des 60J prévus par la réglementation. Le rapport du
HCTISN précise que ni l’ASN, ni EDF n’avaient été prévenus de ces mauvais résultats.
• Enfin, le rapport CODEP déjà cité nous dit en page 19 :
«Fin 2014, Areva NP a informé l’ASN de résultats d‘essais de résilience plus faibles qu’attendu. Les
essais ont été réalisés dans le cadre de la qualification technique, sur des éprouvettes prélevées sur
une calotte destinée initialement à un projet de réacteur EPR aux Etats-Unisxii, dénommée calotte
supérieure UA, a priori représentative de celles destinées à la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
Les valeurs mesurées à 0° C sur deux séries de trois éprouvettes présentaient une valeur minimale de
36 J (Joule) et une valeur moyenne de 52 J ne permettant pas d’atteindre la qualité alors attendue par
Areva NP. Ces valeurs sont également inférieures à la valeur de résilience de 60 J mentionnée au
point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSN en référence (3)xiii ».
Il faudra donc attendre avril 2015 pour que l’ASN rende publique l’information sur la non
conformité des calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
1.3 Le jugement de l’Autorité de Sûreté tombe :
Dans sa lettre du 14 décembre 2015xiv au président d’Areva, le président de l’ASN écrit :
« Je considère que le dossier de qualification technique que vous avez présenté pour les calottes du
fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux
ségrégations majeures positives résiduelles, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et
ses conséquences mal quantifiées.
Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez
pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de
l’EPR ».
La sanction est tombée. Dans ces conditions, la mise en service de la cuve de l’EPR ne peut pas
être autorisée.
Mais, dans la même lettre, le président de l’ASN propose une voie détournée que nous allons
examiner au chapitre suivant :
« Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de
l’environnement ».
1.4 Sur le couvercle de cuve
Un paragraphe étonnant apparaît dans la lettre du 14 décembre 2015 :
« Je note que vous envisagez de poursuivre les opérations de fabrication sur le couvercle (épreuve
hydraulique, soudage des fermetures d’adaptateurs d’instrumentation, expédition sur site, habillage,
calorifugeage… ) sans attendre les résultats des essais qui seront réalisés sur les calottes
sacrificielles ».
4
Surprenant en effet quand on sait que la cuve a été installée dans le réacteur en janvier 2014. Cela
signifie par conséquent que la cuve installée à cette date possédait un couvercle « factice » qui n’était
pas le couvercle prévu. En effet, on apprend par ailleurs que le « vrai » couvercle n’a été livré sur le
site de Flamanville que le 16 février 2016 et a été installé ensuite, alors que les défauts de cette pièce
étaient prouvés et que la qualification technique n’était pas acceptée.
1.5 Et, pendant ce temps là, EDF fait comme si de rien n’était
EDF a évidemment été parfaitement au fait de ces évolutions depuis le début puisqu’il est le client
d’Areva pour la fourniture de la cuve du réacteur.
Malgré tous ces avertissements, la cuve du réacteur est livrée sur le site de Flamanville en octobre
2013 et installée dans le bâtiment réacteur en janvier 2014, tandis que le dôme du bâtiment réacteur a
été installé en juillet 2013.
A toutes les interrogations sur les anomalies de pièces de la cuve, EDF répond qu’il n’y a pas de
problème, qu’il n’y a pas de « Plan B » et que le démarrage est prévu pour 2016 (date reportée depuis
à 2018). Et, comme nous venons de le voir, EDF a installé le couvercle de cuve « défaillant » en
février 2016.
2. UNE PROCEDURE DEROGATOIRE INACCEPTABLE
2.1 Une nouvelle procédure bien opportune
Pourquoi un tel excès de confiance de la part d’Areva et surtout d’EDF qui est, après tout, le premier
responsable de la sûreté de ses réacteurs et qui a réussi à créer un « fait accompli » en installant la
cuve de l’EPR alors que la qualification technique n’était pas reconnue ?
Cela parce que, très opportunément, un décret du 1er juillet 2015xv et son arrêté d’application du 30
décembre 2015xvi relatif aux équipements sous pression nucléaires, dont font partie les cuves des
réacteurs, fait bénéficier d’un régime dérogatoire l’application des règles de conformité des
équipements sous pression nucléaires.
On lit en effet dans l’article 9 de cet arrêté :
« En application de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement, en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou
limités, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, par décision prise après avis de la Commission centrale
des appareils à pression, autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un
équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des
exigences des articles L.557-4 et L.557-5 du code de l’environnement, du chapitre VII du titre V de la
partie réglementaire du code de l’environnement et du présent arrêté ».
5
La cuve de l’EPR se trouve dans cette situation et l’avis de l’ASN soumis à la consultation constitue
de fait une réponse anticipée à la demande de dérogation que ne manquerons pas de faire EDF et
Areva (ou EDF seul en fonction de l’évolution du montage industriel d’absorption par EDF d’Areva
NP).
Il est difficile de ne pas voir dans la publication de ce décret, signé par le premier ministre et les
ministres concernées, et de son arrêté d’application, l’invention d’une procédure ad hoc pour éviter
des difficultés à EDF et Areva.
2.2 Une telle procédure de dérogation est inacceptable à plusieurs titres
a) Dans son principe, cette procédure dérogatoire est dangereuse car elle crée un précédent que les
exploitants et les fournisseurs d’équipements ne manqueront pas d’utiliser, et cela d’autant plus
facilement que les conditions laissent une large part à l’arbitraire : « … en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée… ».
On peut d’ailleurs sur ce point s’interroger sur la légitimité institutionnelle de l’Autorité de sûreté
nucléaire à porter un jugement sur un critère (la difficulté particulière) qui ne relèverait pas de la
sûreté nucléaire, ce qui serait très probablement le cas le plus fréquent.
Ce texte est d’autre part très imprécis sur les conditions de son application : le demandeur doit assurer
notamment que les risques sont suffisamment « prévenus ou limités », ce qui laisse une très large
marge d’appréciation.
On imagine très bien que d’autres secteurs industriels pourraient à leur tour obtenir une telle
procédure, avec les dégâts et les risques qu’une telle décision entraînerait.
b) Dans le cas du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR de Flamanville, une telle dérogation n’est
pas acceptable car elle porte sur deux éléments de la cuve du réacteur, dont la rupture pourrait
provoquer un accident grave, voire majeur (rupture qui, on l’a vu, est exclue des études de sûreté). Le
risque de rupture brutale de la cuve, accident considéré « par définition » comme impossible
(exclusion de rupture) est bien analysé dans le document CODEP déjà cité. Le risque n’est donc pas a
priori limité et par conséquent la demande de dérogation devrait être refusée.
Cette question du risque est d’ailleurs mise en évidence par l’une des conditions formulées dans l’avis
de l’ASN : « L’utilisation du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ne pourra être
autorisée au-delà du 31 décembre 2024 ».
On ne saurait mieux admettre que cette pièce est défaillante puisqu’il va falloir la remplacer à court
terme. C’est reconnaître que le réacteur EPR, s’il démarre avant 2024, fonctionnerait pendant plusieurs
années en état de sûreté dégradé, ce qui n’est pas acceptable.
6
c) Toujours dans le cas des deux calottes de la cuve de l’EPR, quelle est la « difficulté particulière »
qui conduit à la demande de dérogation ?
C’est le fait que l’exploitant EDF a créé une situation considérée comme irréversible en acceptant et
installant la cuve alors que la défaillance de deux de ses éléments était connue. Et que, évidemment, il
serait très onéreux et cause de retard dans le démarrage de l’EPR de réaliser le remplacement des
éléments défaillants.
La « difficulté particulière » est d’ordre économique et industriel et largement due au comportement
des deux grands opérateurs concernés, Areva et EDF.
D’ailleurs, ASN et IRSN confirment ce constat dans l’introduction du rapport CODEP déjà citéxvii :
« Areva NP estime que l’approvisionnement d’un nouveau couvercle et le remplacement de l’actuel,
qui est une opération qui a déjà été réalisée sur plusieurs réacteurs, nécessite au moins 75 mois.
Areva NP et EDF ont également étudié la possibilité de remettre en conformité le fond de la cuve et
estiment que les conséquences seraient disproportionnées en termes de coût, de délai et de
conséquences sur le modèle de réacteur EPR et sur la filière nucléaire ».
Cette opinion des deux opérateurs directement concernés et directement responsables de cette situation
de risque semble bien être acceptée sans discussion. Il est clair en tout cas qu’elle est bien de caractère
économique et de politique industrielle.
Il n’est pas certain que « l’avenir de la filière » soit conforté par l’acceptation d’une telle défaillance
sur un réacteur considéré comme un prototype et soit préférable à l’admission et la correction d’une
erreur qui pourrait avoir des conséquences graves.
De plus, la perte de confiance qui résulterait d’une telle dérogation vis-à-vis des opérateurs (celle-ci
est déjà bien ébranlée) et surtout vis-à-vis des organismes des organismes de contrôle de la sûreté
comme des responsables politiques est sans doute plus grave que les considérations de pouvoir et
d’argent qui ont conduit à une telle orientation.
Nous rejoignons l’opinion de MM. Marignac et Autret exprimée dans leur avis minoritaire sur le
Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (26-27 juin
2017) présenté ci-dessous.
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret
« Les éléments fournis par Areva NP pour justifier de l’aptitude au service de la cuve, bien qu’ils
soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la
caractérisation du matériau, à l’exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des
hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone
ségrégée vis-à-vis du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport
aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.
7
Le non respect de l’exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par
sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le
caractère tardif des la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la
cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de
cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.
La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas
les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et
débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la
résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.
Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges
perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.
Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l’éventuelle mise en service de la cuve. A cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible ».
Après une dizaine d’années d’atermoiements, on aboutit au résultat que le couvercle et le fond de cuve de l’EPR de Flamanville en
construction, pièces dont la qualité de fabrication est essentielle pour la sûreté du réacteur, ne sont pas conformes et devraient, si l’on respecte la réglementation, être rejetées.
De façon opportune, en juillet puis décembre 2015, une nouvelle procédure de dérogation à l’application de la réglementation a permis de contourner l’obstacle et a conduit l’ASN à émettre un avis favorable à la mise en service de la cuve de l’EPR, sous certaines conditions elles-mêmes discutables.
La dérogation qu’implique de fait l’avis de l’ASN n’est pas acceptable, ni dans son principe, ni dans le cas de la cuve de l’EPR, ce qui me conduit à demander le retrait de cet avis.
La mise en service de la cuve de l’EPR du réacteur en construction de Flamanville, en l’état, ne doit pas être autorisée.
12/09/2017 23:09
Un projet insensé
Comme de nombreuses personnes l'ont déjà soulevé ici, je tiens à rappeler qu'il est absurde et dangereux de poursuivre ce projet sachant que la cuve est la pièce essentielle du réacteur. Sa qualité doit être irréprochable ! Or, elle n'a pas les caractéristiques requises : rien ne permet de surveiller son évolution et de prévenir le risque d'une rupture brutale !
Les intérêts de l’industrie nucléaire ne doivent pas passer avant la protection des populations. La cuve ne doit pas être qualifiée avec son acier actuel. Le niveau de sûreté n'est pas satisfaisant, le principe de précaution doit prévaloir !
Nous n'acceptons pas la prise de risque que constitue l'utilisation de pièces comportant des anomalies. Le chantier doit être arrêté ! Nous, citoyens français, n’avons pas à payer le prix des erreurs stratégiques et techniques d’EDF et AREVA.
Je joins ma voix à toutes celles et tous ceux qui réclament l'arrêt total d'un projet dispendieux et dangereux pour les êtres humains, tous les êtres vivants et l'environnement.
12/09/2017 23:09
Cuve EPR
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en consultation publique un projet d’avis relatif à
l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de cuve du réacteur EPR de
Flamanville (INB n°167).
L’élément essentiel de cet avis est sa première phrase :
« L’anomalie de la composition en carbone de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur
de Flamanville n’est pas de nature à remettre en cause la mise en service de celle-ci, sous réserve
des conditions suivantes ».
Rappelons que (Fiche pédagogique IRSN du 28 juin 2017, page 1) :
« La cuve fait partie des équipements dits « en exclusion de rupture ». Cela signifie que sa défaillance
et sa rupture ne sont pas postulées dans la démonstration de sûreté.
En conséquence, sa conception, sa fabrication et son suivi en service font l’objet de dispositions de
contrôle particulièrement exigeantes afin d’écarter le risque de rupture (règles de conception
spécifiques, procédés de fabrication et de contrôle permettant de démontrer l’obtention d’un très haut
niveau de fabrication, contrôles non destructifs renforcés en service… ».
1. COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
1.1 Une anomalie signalée récemment ?
Dans son introduction, le rapport ASN-IRSN (CODEP-DEP-2017-19368) nous dit simplement :
« Les calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont été fabriquées
en 2006 et 2007 par forgeage par l’usine Creusot Forge d’Areva NP.
Ces composant sont soumis à l’exigence de qualification technique de l’arrêté EPSN car ils
présentent un risque d’hétérogénéité de leurs caractéristiques.
Dans le cadre de cette qualification technique, Areva NP a mesuré des valeurs de résilienceiv
inférieures aux valeurs mentionnées par le point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSNv, ce qui l’a amené
en 2015 à proposer à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une démarche destinée à justifier le
caractère suffisant de la ténacité du matériau de ces composants, basée sur un programme d’essais
sur des calottes sacrificielles et les analyses de mécanique du risque de rupture brutale ».
2
Dans son communiqué de presse du 28 juin 2017, l’ASN précise qu’Areva a « mis en évidence » une
anomalie de la composition chimiquevi dans l’acier de ces équipements vitaux pour la sûreté du
réacteur à la fin de 2014. L’ASN rappelle qu’elle a rendu publique le 7 avril 2015 cette information.
On a donc le sentiment que cette affaire est relativement récente. Et on peut quand même s’interroger
sur le temps, presque dix ans, mis pour s’en apercevoir
1.2 Et pourtant…
• Dès 2005, l’ASNvii (BCCNviii) avait alerté EDF sur le fait que l’usine Creusot Forge connaissait de
sérieux problèmes de qualité. C’était avant la fabrication de la cuve de l’EPR :
« Dans le cadre de sa mission de contrôle de la fabrication des équipements sous pression
nucléaires, le BCCN a récemment constaté de nombreux écarts concernant le forgeron Creusot
Forge » et annonçait une inspection de Creusot Forge.
• Le rapport de février 2017 du HCTISNx permet de mieux connaître le déroulement des
choses partir de 2006 :
« Au cours de l’été 2006, l’ASN (BCCN) a posé un certain nombre de questions relatives aux
approvisionnements anticipés de la cuve de FA3xi, dont une sur la manière d’apporter la preuve de
l’homogénéité des propriétés mécaniques des calottes (lettre du 21 août).
Il a été répondu (lettre AREVA du 27 novembre) que ceci ferait l’objet des dossiers de Qualification
Technique, dont le contenu allait se discuter dans les semaines à venir, dans le cadre de la définition
des modalités d’application de l’EPSN ».
Il y avait donc déjà anguille sous roche…
« AREVA a produit plusieurs versions des Synthèses de Qualification technique des calottes. En ce qui
concerne la zone externe centrale, elles estimaient qu’après usinage, seules des ségrégations
résiduelles demeureraient, assurant des propriétés mécaniques conformes ».
• Le temps passe, « AREVA estimant que les exigences seraient satisfaites ». Il paraît cependant
nécessaire de recourir à des mesures expérimentales sur une pièce sacrificielle. Ce n’est qu’en
septembre 2014 que ces mesures expérimentales sur la carotte d’une pièce initialement prévue
pour un (possible) réacteur aux Etats-Unis ces mesures mettent en évidence les anomalies.
• Afin de bien préciser les responsabilités premières, le même rapport du HCTISN nous apprend
qu’AREVA a prélevé et analysé en 2007 plusieurs copeaux de matière sur les deux faces de
chacun des flans forgés (disques plats avant mise en forme) à l’origine des deux calottes
(couvercle et fond de la cuve de FA3) : "Sur le côté tête, les deux prélèvement effectués sur la
calotte supérieure ont donné des valeurs de concentration de carbone élevées (0,265% et 0,277%)
qui auraient pu amener à s’interroger dès 2007 sur la présence de ségrégations majeures
positives. Ces valeurs apparaissent en 2007 dans la version B du dossier de synthèse de la
qualification M140 en référence (23) mais le procès-verbal d’essais annexé (page 117/140)
indique que les résultats sont conformes ».
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• De nouveau, en 2013, des tests supplémentaires réalisés en 2013 avaient donné des résultats
avoisinant les 45 J (pour la résilience) au lieu des 60J prévus par la réglementation. Le rapport du
HCTISN précise que ni l’ASN, ni EDF n’avaient été prévenus de ces mauvais résultats.
• Enfin, le rapport CODEP déjà cité nous dit en page 19 :
«Fin 2014, Areva NP a informé l’ASN de résultats d‘essais de résilience plus faibles qu’attendu. Les
essais ont été réalisés dans le cadre de la qualification technique, sur des éprouvettes prélevées sur
une calotte destinée initialement à un projet de réacteur EPR aux Etats-Unisxii, dénommée calotte
supérieure UA, a priori représentative de celles destinées à la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
Les valeurs mesurées à 0° C sur deux séries de trois éprouvettes présentaient une valeur minimale de
36 J (Joule) et une valeur moyenne de 52 J ne permettant pas d’atteindre la qualité alors attendue par
Areva NP. Ces valeurs sont également inférieures à la valeur de résilience de 60 J mentionnée au
point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSN en référence (3)xiii ».
Il faudra donc attendre avril 2015 pour que l’ASN rende publique l’information sur la non
conformité des calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
1.3 Le jugement de l’Autorité de Sûreté tombe :
Dans sa lettre du 14 décembre 2015xiv au président d’Areva, le président de l’ASN écrit :
« Je considère que le dossier de qualification technique que vous avez présenté pour les calottes du
fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux
ségrégations majeures positives résiduelles, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et
ses conséquences mal quantifiées.
Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez
pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de
l’EPR ».
La sanction est tombée. Dans ces conditions, la mise en service de la cuve de l’EPR ne peut pas
être autorisée.
Mais, dans la même lettre, le président de l’ASN propose une voie détournée que nous allons
examiner au chapitre suivant :
« Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de
l’environnement ».
1.4 Sur le couvercle de cuve
Un paragraphe étonnant apparaît dans la lettre du 14 décembre 2015 :
« Je note que vous envisagez de poursuivre les opérations de fabrication sur le couvercle (épreuve
hydraulique, soudage des fermetures d’adaptateurs d’instrumentation, expédition sur site, habillage,
calorifugeage… ) sans attendre les résultats des essais qui seront réalisés sur les calottes
sacrificielles ».
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Surprenant en effet quand on sait que la cuve a été installée dans le réacteur en janvier 2014. Cela
signifie par conséquent que la cuve installée à cette date possédait un couvercle « factice » qui n’était
pas le couvercle prévu. En effet, on apprend par ailleurs que le « vrai » couvercle n’a été livré sur le
site de Flamanville que le 16 février 2016 et a été installé ensuite, alors que les défauts de cette pièce
étaient prouvés et que la qualification technique n’était pas acceptée.
1.5 Et, pendant ce temps là, EDF fait comme si de rien n’était
EDF a évidemment été parfaitement au fait de ces évolutions depuis le début puisqu’il est le client
d’Areva pour la fourniture de la cuve du réacteur.
Malgré tous ces avertissements, la cuve du réacteur est livrée sur le site de Flamanville en octobre
2013 et installée dans le bâtiment réacteur en janvier 2014, tandis que le dôme du bâtiment réacteur a
été installé en juillet 2013.
A toutes les interrogations sur les anomalies de pièces de la cuve, EDF répond qu’il n’y a pas de
problème, qu’il n’y a pas de « Plan B » et que le démarrage est prévu pour 2016 (date reportée depuis
à 2018). Et, comme nous venons de le voir, EDF a installé le couvercle de cuve « défaillant » en
février 2016.
2. UNE PROCEDURE DEROGATOIRE INACCEPTABLE
2.1 Une nouvelle procédure bien opportune
Pourquoi un tel excès de confiance de la part d’Areva et surtout d’EDF qui est, après tout, le premier
responsable de la sûreté de ses réacteurs et qui a réussi à créer un « fait accompli » en installant la
cuve de l’EPR alors que la qualification technique n’était pas reconnue ?
Cela parce que, très opportunément, un décret du 1er juillet 2015xv et son arrêté d’application du 30
décembre 2015xvi relatif aux équipements sous pression nucléaires, dont font partie les cuves des
réacteurs, fait bénéficier d’un régime dérogatoire l’application des règles de conformité des
équipements sous pression nucléaires.
On lit en effet dans l’article 9 de cet arrêté :
« En application de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement, en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou
limités, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, par décision prise après avis de la Commission centrale
des appareils à pression, autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un
équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des
exigences des articles L.557-4 et L.557-5 du code de l’environnement, du chapitre VII du titre V de la
partie réglementaire du code de l’environnement et du présent arrêté ».
5
La cuve de l’EPR se trouve dans cette situation et l’avis de l’ASN soumis à la consultation constitue
de fait une réponse anticipée à la demande de dérogation que ne manquerons pas de faire EDF et
Areva (ou EDF seul en fonction de l’évolution du montage industriel d’absorption par EDF d’Areva
NP).
Il est difficile de ne pas voir dans la publication de ce décret, signé par le premier ministre et les
ministres concernées, et de son arrêté d’application, l’invention d’une procédure ad hoc pour éviter
des difficultés à EDF et Areva.
2.2 Une telle procédure de dérogation est inacceptable à plusieurs titres
a) Dans son principe, cette procédure dérogatoire est dangereuse car elle crée un précédent que les
exploitants et les fournisseurs d’équipements ne manqueront pas d’utiliser, et cela d’autant plus
facilement que les conditions laissent une large part à l’arbitraire : « … en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée… ».
On peut d’ailleurs sur ce point s’interroger sur la légitimité institutionnelle de l’Autorité de sûreté
nucléaire à porter un jugement sur un critère (la difficulté particulière) qui ne relèverait pas de la
sûreté nucléaire, ce qui serait très probablement le cas le plus fréquent.
Ce texte est d’autre part très imprécis sur les conditions de son application : le demandeur doit assurer
notamment que les risques sont suffisamment « prévenus ou limités », ce qui laisse une très large
marge d’appréciation.
On imagine très bien que d’autres secteurs industriels pourraient à leur tour obtenir une telle
procédure, avec les dégâts et les risques qu’une telle décision entraînerait.
b) Dans le cas du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR de Flamanville, une telle dérogation n’est
pas acceptable car elle porte sur deux éléments de la cuve du réacteur, dont la rupture pourrait
provoquer un accident grave, voire majeur (rupture qui, on l’a vu, est exclue des études de sûreté). Le
risque de rupture brutale de la cuve, accident considéré « par définition » comme impossible
(exclusion de rupture) est bien analysé dans le document CODEP déjà cité. Le risque n’est donc pas a
priori limité et par conséquent la demande de dérogation devrait être refusée.
Cette question du risque est d’ailleurs mise en évidence par l’une des conditions formulées dans l’avis
de l’ASN : « L’utilisation du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ne pourra être
autorisée au-delà du 31 décembre 2024 ».
On ne saurait mieux admettre que cette pièce est défaillante puisqu’il va falloir la remplacer à court
terme. C’est reconnaître que le réacteur EPR, s’il démarre avant 2024, fonctionnerait pendant plusieurs
années en état de sûreté dégradé, ce qui n’est pas acceptable.
6
c) Toujours dans le cas des deux calottes de la cuve de l’EPR, quelle est la « difficulté particulière »
qui conduit à la demande de dérogation ?
C’est le fait que l’exploitant EDF a créé une situation considérée comme irréversible en acceptant et
installant la cuve alors que la défaillance de deux de ses éléments était connue. Et que, évidemment, il
serait très onéreux et cause de retard dans le démarrage de l’EPR de réaliser le remplacement des
éléments défaillants.
La « difficulté particulière » est d’ordre économique et industriel et largement due au comportement
des deux grands opérateurs concernés, Areva et EDF.
D’ailleurs, ASN et IRSN confirment ce constat dans l’introduction du rapport CODEP déjà citéxvii :
« Areva NP estime que l’approvisionnement d’un nouveau couvercle et le remplacement de l’actuel,
qui est une opération qui a déjà été réalisée sur plusieurs réacteurs, nécessite au moins 75 mois.
Areva NP et EDF ont également étudié la possibilité de remettre en conformité le fond de la cuve et
estiment que les conséquences seraient disproportionnées en termes de coût, de délai et de
conséquences sur le modèle de réacteur EPR et sur la filière nucléaire ».
Cette opinion des deux opérateurs directement concernés et directement responsables de cette situation
de risque semble bien être acceptée sans discussion. Il est clair en tout cas qu’elle est bien de caractère
économique et de politique industrielle.
Il n’est pas certain que « l’avenir de la filière » soit conforté par l’acceptation d’une telle défaillance
sur un réacteur considéré comme un prototype et soit préférable à l’admission et la correction d’une
erreur qui pourrait avoir des conséquences graves.
De plus, la perte de confiance qui résulterait d’une telle dérogation vis-à-vis des opérateurs (celle-ci
est déjà bien ébranlée) et surtout vis-à-vis des organismes des organismes de contrôle de la sûreté
comme des responsables politiques est sans doute plus grave que les considérations de pouvoir et
d’argent qui ont conduit à une telle orientation.
Nous rejoignons l’opinion de MM. Marignac et Autret exprimée dans leur avis minoritaire sur le
Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (26-27 juin
2017) présenté ci-dessous.
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret
« Les éléments fournis par Areva NP pour justifier de l’aptitude au service de la cuve, bien qu’ils
soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la
caractérisation du matériau, à l’exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des
hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone
ségrégée vis-à-vis du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport
aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.
7
Le non respect de l’exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par
sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le
caractère tardif des la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la
cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de
cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.
La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas
les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et
débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la
résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.
Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges
perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.
Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l’éventuelle mise en service de la cuve. A cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible ».
Après une dizaine d’années d’atermoiements, on aboutit au résultat que le couvercle et le fond de cuve de l’EPR de Flamanville en
construction, pièces dont la qualité de fabrication est essentielle pour la sûreté du réacteur, ne sont pas conformes et devraient, si l’on respecte la réglementation, être rejetées.
De façon opportune, en juillet puis décembre 2015, une nouvelle procédure de dérogation à l’application de la réglementation a permis de contourner l’obstacle et a conduit l’ASN à émettre un avis favorable à la mise en service de la cuve de l’EPR, sous certaines conditions elles-mêmes discutables.
La dérogation qu’implique de fait l’avis de l’ASN n’est pas acceptable, ni dans son principe, ni dans le cas de la cuve de l’EPR, ce qui me conduit à demander le retrait de cet avis.
La mise en service de la cuve de l’EPR du réacteur en construction de Flamanville, en l’état, ne doit pas être autorisée.
12/09/2017 23:09
Cuve EPR
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en consultation publique un projet d’avis relatif à
l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de cuve du réacteur EPR de
Flamanville (INB n°167).
L’élément essentiel de cet avis est sa première phrase :
« L’anomalie de la composition en carbone de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur
de Flamanville n’est pas de nature à remettre en cause la mise en service de celle-ci, sous réserve
des conditions suivantes ».
Rappelons que (Fiche pédagogique IRSN du 28 juin 2017, page 1) :
« La cuve fait partie des équipements dits « en exclusion de rupture ». Cela signifie que sa défaillance
et sa rupture ne sont pas postulées dans la démonstration de sûreté.
En conséquence, sa conception, sa fabrication et son suivi en service font l’objet de dispositions de
contrôle particulièrement exigeantes afin d’écarter le risque de rupture (règles de conception
spécifiques, procédés de fabrication et de contrôle permettant de démontrer l’obtention d’un très haut
niveau de fabrication, contrôles non destructifs renforcés en service… ».
1. COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
1.1 Une anomalie signalée récemment ?
Dans son introduction, le rapport ASN-IRSN (CODEP-DEP-2017-19368) nous dit simplement :
« Les calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont été fabriquées
en 2006 et 2007 par forgeage par l’usine Creusot Forge d’Areva NP.
Ces composant sont soumis à l’exigence de qualification technique de l’arrêté EPSN car ils
présentent un risque d’hétérogénéité de leurs caractéristiques.
Dans le cadre de cette qualification technique, Areva NP a mesuré des valeurs de résilienceiv
inférieures aux valeurs mentionnées par le point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSNv, ce qui l’a amené
en 2015 à proposer à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une démarche destinée à justifier le
caractère suffisant de la ténacité du matériau de ces composants, basée sur un programme d’essais
sur des calottes sacrificielles et les analyses de mécanique du risque de rupture brutale ».
2
Dans son communiqué de presse du 28 juin 2017, l’ASN précise qu’Areva a « mis en évidence » une
anomalie de la composition chimiquevi dans l’acier de ces équipements vitaux pour la sûreté du
réacteur à la fin de 2014. L’ASN rappelle qu’elle a rendu publique le 7 avril 2015 cette information.
On a donc le sentiment que cette affaire est relativement récente. Et on peut quand même s’interroger
sur le temps, presque dix ans, mis pour s’en apercevoir
1.2 Et pourtant…
• Dès 2005, l’ASNvii (BCCNviii) avait alerté EDF sur le fait que l’usine Creusot Forge connaissait de
sérieux problèmes de qualité. C’était avant la fabrication de la cuve de l’EPR :
« Dans le cadre de sa mission de contrôle de la fabrication des équipements sous pression
nucléaires, le BCCN a récemment constaté de nombreux écarts concernant le forgeron Creusot
Forge » et annonçait une inspection de Creusot Forge.
• Le rapport de février 2017 du HCTISNx permet de mieux connaître le déroulement des
choses partir de 2006 :
« Au cours de l’été 2006, l’ASN (BCCN) a posé un certain nombre de questions relatives aux
approvisionnements anticipés de la cuve de FA3xi, dont une sur la manière d’apporter la preuve de
l’homogénéité des propriétés mécaniques des calottes (lettre du 21 août).
Il a été répondu (lettre AREVA du 27 novembre) que ceci ferait l’objet des dossiers de Qualification
Technique, dont le contenu allait se discuter dans les semaines à venir, dans le cadre de la définition
des modalités d’application de l’EPSN ».
Il y avait donc déjà anguille sous roche…
« AREVA a produit plusieurs versions des Synthèses de Qualification technique des calottes. En ce qui
concerne la zone externe centrale, elles estimaient qu’après usinage, seules des ségrégations
résiduelles demeureraient, assurant des propriétés mécaniques conformes ».
• Le temps passe, « AREVA estimant que les exigences seraient satisfaites ». Il paraît cependant
nécessaire de recourir à des mesures expérimentales sur une pièce sacrificielle. Ce n’est qu’en
septembre 2014 que ces mesures expérimentales sur la carotte d’une pièce initialement prévue
pour un (possible) réacteur aux Etats-Unis ces mesures mettent en évidence les anomalies.
• Afin de bien préciser les responsabilités premières, le même rapport du HCTISN nous apprend
qu’AREVA a prélevé et analysé en 2007 plusieurs copeaux de matière sur les deux faces de
chacun des flans forgés (disques plats avant mise en forme) à l’origine des deux calottes
(couvercle et fond de la cuve de FA3) : "Sur le côté tête, les deux prélèvement effectués sur la
calotte supérieure ont donné des valeurs de concentration de carbone élevées (0,265% et 0,277%)
qui auraient pu amener à s’interroger dès 2007 sur la présence de ségrégations majeures
positives. Ces valeurs apparaissent en 2007 dans la version B du dossier de synthèse de la
qualification M140 en référence (23) mais le procès-verbal d’essais annexé (page 117/140)
indique que les résultats sont conformes ».
3
• De nouveau, en 2013, des tests supplémentaires réalisés en 2013 avaient donné des résultats
avoisinant les 45 J (pour la résilience) au lieu des 60J prévus par la réglementation. Le rapport du
HCTISN précise que ni l’ASN, ni EDF n’avaient été prévenus de ces mauvais résultats.
• Enfin, le rapport CODEP déjà cité nous dit en page 19 :
«Fin 2014, Areva NP a informé l’ASN de résultats d‘essais de résilience plus faibles qu’attendu. Les
essais ont été réalisés dans le cadre de la qualification technique, sur des éprouvettes prélevées sur
une calotte destinée initialement à un projet de réacteur EPR aux Etats-Unisxii, dénommée calotte
supérieure UA, a priori représentative de celles destinées à la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
Les valeurs mesurées à 0° C sur deux séries de trois éprouvettes présentaient une valeur minimale de
36 J (Joule) et une valeur moyenne de 52 J ne permettant pas d’atteindre la qualité alors attendue par
Areva NP. Ces valeurs sont également inférieures à la valeur de résilience de 60 J mentionnée au
point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSN en référence (3)xiii ».
Il faudra donc attendre avril 2015 pour que l’ASN rende publique l’information sur la non
conformité des calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
1.3 Le jugement de l’Autorité de Sûreté tombe :
Dans sa lettre du 14 décembre 2015xiv au président d’Areva, le président de l’ASN écrit :
« Je considère que le dossier de qualification technique que vous avez présenté pour les calottes du
fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux
ségrégations majeures positives résiduelles, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et
ses conséquences mal quantifiées.
Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez
pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de
l’EPR ».
La sanction est tombée. Dans ces conditions, la mise en service de la cuve de l’EPR ne peut pas
être autorisée.
Mais, dans la même lettre, le président de l’ASN propose une voie détournée que nous allons
examiner au chapitre suivant :
« Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de
l’environnement ».
1.4 Sur le couvercle de cuve
Un paragraphe étonnant apparaît dans la lettre du 14 décembre 2015 :
« Je note que vous envisagez de poursuivre les opérations de fabrication sur le couvercle (épreuve
hydraulique, soudage des fermetures d’adaptateurs d’instrumentation, expédition sur site, habillage,
calorifugeage… ) sans attendre les résultats des essais qui seront réalisés sur les calottes
sacrificielles ».
4
Surprenant en effet quand on sait que la cuve a été installée dans le réacteur en janvier 2014. Cela
signifie par conséquent que la cuve installée à cette date possédait un couvercle « factice » qui n’était
pas le couvercle prévu. En effet, on apprend par ailleurs que le « vrai » couvercle n’a été livré sur le
site de Flamanville que le 16 février 2016 et a été installé ensuite, alors que les défauts de cette pièce
étaient prouvés et que la qualification technique n’était pas acceptée.
1.5 Et, pendant ce temps là, EDF fait comme si de rien n’était
EDF a évidemment été parfaitement au fait de ces évolutions depuis le début puisqu’il est le client
d’Areva pour la fourniture de la cuve du réacteur.
Malgré tous ces avertissements, la cuve du réacteur est livrée sur le site de Flamanville en octobre
2013 et installée dans le bâtiment réacteur en janvier 2014, tandis que le dôme du bâtiment réacteur a
été installé en juillet 2013.
A toutes les interrogations sur les anomalies de pièces de la cuve, EDF répond qu’il n’y a pas de
problème, qu’il n’y a pas de « Plan B » et que le démarrage est prévu pour 2016 (date reportée depuis
à 2018). Et, comme nous venons de le voir, EDF a installé le couvercle de cuve « défaillant » en
février 2016.
2. UNE PROCEDURE DEROGATOIRE INACCEPTABLE
2.1 Une nouvelle procédure bien opportune
Pourquoi un tel excès de confiance de la part d’Areva et surtout d’EDF qui est, après tout, le premier
responsable de la sûreté de ses réacteurs et qui a réussi à créer un « fait accompli » en installant la
cuve de l’EPR alors que la qualification technique n’était pas reconnue ?
Cela parce que, très opportunément, un décret du 1er juillet 2015xv et son arrêté d’application du 30
décembre 2015xvi relatif aux équipements sous pression nucléaires, dont font partie les cuves des
réacteurs, fait bénéficier d’un régime dérogatoire l’application des règles de conformité des
équipements sous pression nucléaires.
On lit en effet dans l’article 9 de cet arrêté :
« En application de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement, en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou
limités, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, par décision prise après avis de la Commission centrale
des appareils à pression, autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un
équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des
exigences des articles L.557-4 et L.557-5 du code de l’environnement, du chapitre VII du titre V de la
partie réglementaire du code de l’environnement et du présent arrêté ».
5
La cuve de l’EPR se trouve dans cette situation et l’avis de l’ASN soumis à la consultation constitue
de fait une réponse anticipée à la demande de dérogation que ne manquerons pas de faire EDF et
Areva (ou EDF seul en fonction de l’évolution du montage industriel d’absorption par EDF d’Areva
NP).
Il est difficile de ne pas voir dans la publication de ce décret, signé par le premier ministre et les
ministres concernées, et de son arrêté d’application, l’invention d’une procédure ad hoc pour éviter
des difficultés à EDF et Areva.
2.2 Une telle procédure de dérogation est inacceptable à plusieurs titres
a) Dans son principe, cette procédure dérogatoire est dangereuse car elle crée un précédent que les
exploitants et les fournisseurs d’équipements ne manqueront pas d’utiliser, et cela d’autant plus
facilement que les conditions laissent une large part à l’arbitraire : « … en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée… ».
On peut d’ailleurs sur ce point s’interroger sur la légitimité institutionnelle de l’Autorité de sûreté
nucléaire à porter un jugement sur un critère (la difficulté particulière) qui ne relèverait pas de la
sûreté nucléaire, ce qui serait très probablement le cas le plus fréquent.
Ce texte est d’autre part très imprécis sur les conditions de son application : le demandeur doit assurer
notamment que les risques sont suffisamment « prévenus ou limités », ce qui laisse une très large
marge d’appréciation.
On imagine très bien que d’autres secteurs industriels pourraient à leur tour obtenir une telle
procédure, avec les dégâts et les risques qu’une telle décision entraînerait.
b) Dans le cas du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR de Flamanville, une telle dérogation n’est
pas acceptable car elle porte sur deux éléments de la cuve du réacteur, dont la rupture pourrait
provoquer un accident grave, voire majeur (rupture qui, on l’a vu, est exclue des études de sûreté). Le
risque de rupture brutale de la cuve, accident considéré « par définition » comme impossible
(exclusion de rupture) est bien analysé dans le document CODEP déjà cité. Le risque n’est donc pas a
priori limité et par conséquent la demande de dérogation devrait être refusée.
Cette question du risque est d’ailleurs mise en évidence par l’une des conditions formulées dans l’avis
de l’ASN : « L’utilisation du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ne pourra être
autorisée au-delà du 31 décembre 2024 ».
On ne saurait mieux admettre que cette pièce est défaillante puisqu’il va falloir la remplacer à court
terme. C’est reconnaître que le réacteur EPR, s’il démarre avant 2024, fonctionnerait pendant plusieurs
années en état de sûreté dégradé, ce qui n’est pas acceptable.
6
c) Toujours dans le cas des deux calottes de la cuve de l’EPR, quelle est la « difficulté particulière »
qui conduit à la demande de dérogation ?
C’est le fait que l’exploitant EDF a créé une situation considérée comme irréversible en acceptant et
installant la cuve alors que la défaillance de deux de ses éléments était connue. Et que, évidemment, il
serait très onéreux et cause de retard dans le démarrage de l’EPR de réaliser le remplacement des
éléments défaillants.
La « difficulté particulière » est d’ordre économique et industriel et largement due au comportement
des deux grands opérateurs concernés, Areva et EDF.
D’ailleurs, ASN et IRSN confirment ce constat dans l’introduction du rapport CODEP déjà citéxvii :
« Areva NP estime que l’approvisionnement d’un nouveau couvercle et le remplacement de l’actuel,
qui est une opération qui a déjà été réalisée sur plusieurs réacteurs, nécessite au moins 75 mois.
Areva NP et EDF ont également étudié la possibilité de remettre en conformité le fond de la cuve et
estiment que les conséquences seraient disproportionnées en termes de coût, de délai et de
conséquences sur le modèle de réacteur EPR et sur la filière nucléaire ».
Cette opinion des deux opérateurs directement concernés et directement responsables de cette situation
de risque semble bien être acceptée sans discussion. Il est clair en tout cas qu’elle est bien de caractère
économique et de politique industrielle.
Il n’est pas certain que « l’avenir de la filière » soit conforté par l’acceptation d’une telle défaillance
sur un réacteur considéré comme un prototype et soit préférable à l’admission et la correction d’une
erreur qui pourrait avoir des conséquences graves.
De plus, la perte de confiance qui résulterait d’une telle dérogation vis-à-vis des opérateurs (celle-ci
est déjà bien ébranlée) et surtout vis-à-vis des organismes des organismes de contrôle de la sûreté
comme des responsables politiques est sans doute plus grave que les considérations de pouvoir et
d’argent qui ont conduit à une telle orientation.
Nous rejoignons l’opinion de MM. Marignac et Autret exprimée dans leur avis minoritaire sur le
Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (26-27 juin
2017) présenté ci-dessous.
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret
« Les éléments fournis par Areva NP pour justifier de l’aptitude au service de la cuve, bien qu’ils
soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la
caractérisation du matériau, à l’exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des
hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone
ségrégée vis-à-vis du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport
aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.
7
Le non respect de l’exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par
sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le
caractère tardif des la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la
cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de
cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.
La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas
les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et
débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la
résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.
Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges
perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.
Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l’éventuelle mise en service de la cuve. A cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible ».
Après une dizaine d’années d’atermoiements, on aboutit au résultat que le couvercle et le fond de cuve de l’EPR de Flamanville en
construction, pièces dont la qualité de fabrication est essentielle pour la sûreté du réacteur, ne sont pas conformes et devraient, si l’on respecte la réglementation, être rejetées.
De façon opportune, en juillet puis décembre 2015, une nouvelle procédure de dérogation à l’application de la réglementation a permis de contourner l’obstacle et a conduit l’ASN à émettre un avis favorable à la mise en service de la cuve de l’EPR, sous certaines conditions elles-mêmes discutables.
La dérogation qu’implique de fait l’avis de l’ASN n’est pas acceptable, ni dans son principe, ni dans le cas de la cuve de l’EPR, ce qui me conduit à demander le retrait de cet avis.
La mise en service de la cuve de l’EPR du réacteur en construction de Flamanville, en l’état, ne doit pas être autorisée.
12/09/2017 23:09
Cuve EPR
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en consultation publique un projet d’avis relatif à
l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de cuve du réacteur EPR de
Flamanville (INB n°167).
L’élément essentiel de cet avis est sa première phrase :
« L’anomalie de la composition en carbone de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur
de Flamanville n’est pas de nature à remettre en cause la mise en service de celle-ci, sous réserve
des conditions suivantes ».
Rappelons que (Fiche pédagogique IRSN du 28 juin 2017, page 1) :
« La cuve fait partie des équipements dits « en exclusion de rupture ». Cela signifie que sa défaillance
et sa rupture ne sont pas postulées dans la démonstration de sûreté.
En conséquence, sa conception, sa fabrication et son suivi en service font l’objet de dispositions de
contrôle particulièrement exigeantes afin d’écarter le risque de rupture (règles de conception
spécifiques, procédés de fabrication et de contrôle permettant de démontrer l’obtention d’un très haut
niveau de fabrication, contrôles non destructifs renforcés en service… ».
1. COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
1.1 Une anomalie signalée récemment ?
Dans son introduction, le rapport ASN-IRSN (CODEP-DEP-2017-19368) nous dit simplement :
« Les calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont été fabriquées
en 2006 et 2007 par forgeage par l’usine Creusot Forge d’Areva NP.
Ces composant sont soumis à l’exigence de qualification technique de l’arrêté EPSN car ils
présentent un risque d’hétérogénéité de leurs caractéristiques.
Dans le cadre de cette qualification technique, Areva NP a mesuré des valeurs de résilienceiv
inférieures aux valeurs mentionnées par le point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSNv, ce qui l’a amené
en 2015 à proposer à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une démarche destinée à justifier le
caractère suffisant de la ténacité du matériau de ces composants, basée sur un programme d’essais
sur des calottes sacrificielles et les analyses de mécanique du risque de rupture brutale ».
2
Dans son communiqué de presse du 28 juin 2017, l’ASN précise qu’Areva a « mis en évidence » une
anomalie de la composition chimiquevi dans l’acier de ces équipements vitaux pour la sûreté du
réacteur à la fin de 2014. L’ASN rappelle qu’elle a rendu publique le 7 avril 2015 cette information.
On a donc le sentiment que cette affaire est relativement récente. Et on peut quand même s’interroger
sur le temps, presque dix ans, mis pour s’en apercevoir
1.2 Et pourtant…
• Dès 2005, l’ASNvii (BCCNviii) avait alerté EDF sur le fait que l’usine Creusot Forge connaissait de
sérieux problèmes de qualité. C’était avant la fabrication de la cuve de l’EPR :
« Dans le cadre de sa mission de contrôle de la fabrication des équipements sous pression
nucléaires, le BCCN a récemment constaté de nombreux écarts concernant le forgeron Creusot
Forge » et annonçait une inspection de Creusot Forge.
• Le rapport de février 2017 du HCTISNx permet de mieux connaître le déroulement des
choses partir de 2006 :
« Au cours de l’été 2006, l’ASN (BCCN) a posé un certain nombre de questions relatives aux
approvisionnements anticipés de la cuve de FA3xi, dont une sur la manière d’apporter la preuve de
l’homogénéité des propriétés mécaniques des calottes (lettre du 21 août).
Il a été répondu (lettre AREVA du 27 novembre) que ceci ferait l’objet des dossiers de Qualification
Technique, dont le contenu allait se discuter dans les semaines à venir, dans le cadre de la définition
des modalités d’application de l’EPSN ».
Il y avait donc déjà anguille sous roche…
« AREVA a produit plusieurs versions des Synthèses de Qualification technique des calottes. En ce qui
concerne la zone externe centrale, elles estimaient qu’après usinage, seules des ségrégations
résiduelles demeureraient, assurant des propriétés mécaniques conformes ».
• Le temps passe, « AREVA estimant que les exigences seraient satisfaites ». Il paraît cependant
nécessaire de recourir à des mesures expérimentales sur une pièce sacrificielle. Ce n’est qu’en
septembre 2014 que ces mesures expérimentales sur la carotte d’une pièce initialement prévue
pour un (possible) réacteur aux Etats-Unis ces mesures mettent en évidence les anomalies.
• Afin de bien préciser les responsabilités premières, le même rapport du HCTISN nous apprend
qu’AREVA a prélevé et analysé en 2007 plusieurs copeaux de matière sur les deux faces de
chacun des flans forgés (disques plats avant mise en forme) à l’origine des deux calottes
(couvercle et fond de la cuve de FA3) : "Sur le côté tête, les deux prélèvement effectués sur la
calotte supérieure ont donné des valeurs de concentration de carbone élevées (0,265% et 0,277%)
qui auraient pu amener à s’interroger dès 2007 sur la présence de ségrégations majeures
positives. Ces valeurs apparaissent en 2007 dans la version B du dossier de synthèse de la
qualification M140 en référence (23) mais le procès-verbal d’essais annexé (page 117/140)
indique que les résultats sont conformes ».
3
• De nouveau, en 2013, des tests supplémentaires réalisés en 2013 avaient donné des résultats
avoisinant les 45 J (pour la résilience) au lieu des 60J prévus par la réglementation. Le rapport du
HCTISN précise que ni l’ASN, ni EDF n’avaient été prévenus de ces mauvais résultats.
• Enfin, le rapport CODEP déjà cité nous dit en page 19 :
«Fin 2014, Areva NP a informé l’ASN de résultats d‘essais de résilience plus faibles qu’attendu. Les
essais ont été réalisés dans le cadre de la qualification technique, sur des éprouvettes prélevées sur
une calotte destinée initialement à un projet de réacteur EPR aux Etats-Unisxii, dénommée calotte
supérieure UA, a priori représentative de celles destinées à la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
Les valeurs mesurées à 0° C sur deux séries de trois éprouvettes présentaient une valeur minimale de
36 J (Joule) et une valeur moyenne de 52 J ne permettant pas d’atteindre la qualité alors attendue par
Areva NP. Ces valeurs sont également inférieures à la valeur de résilience de 60 J mentionnée au
point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSN en référence (3)xiii ».
Il faudra donc attendre avril 2015 pour que l’ASN rende publique l’information sur la non
conformité des calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
1.3 Le jugement de l’Autorité de Sûreté tombe :
Dans sa lettre du 14 décembre 2015xiv au président d’Areva, le président de l’ASN écrit :
« Je considère que le dossier de qualification technique que vous avez présenté pour les calottes du
fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux
ségrégations majeures positives résiduelles, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et
ses conséquences mal quantifiées.
Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez
pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de
l’EPR ».
La sanction est tombée. Dans ces conditions, la mise en service de la cuve de l’EPR ne peut pas
être autorisée.
Mais, dans la même lettre, le président de l’ASN propose une voie détournée que nous allons
examiner au chapitre suivant :
« Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de
l’environnement ».
1.4 Sur le couvercle de cuve
Un paragraphe étonnant apparaît dans la lettre du 14 décembre 2015 :
« Je note que vous envisagez de poursuivre les opérations de fabrication sur le couvercle (épreuve
hydraulique, soudage des fermetures d’adaptateurs d’instrumentation, expédition sur site, habillage,
calorifugeage… ) sans attendre les résultats des essais qui seront réalisés sur les calottes
sacrificielles ».
4
Surprenant en effet quand on sait que la cuve a été installée dans le réacteur en janvier 2014. Cela
signifie par conséquent que la cuve installée à cette date possédait un couvercle « factice » qui n’était
pas le couvercle prévu. En effet, on apprend par ailleurs que le « vrai » couvercle n’a été livré sur le
site de Flamanville que le 16 février 2016 et a été installé ensuite, alors que les défauts de cette pièce
étaient prouvés et que la qualification technique n’était pas acceptée.
1.5 Et, pendant ce temps là, EDF fait comme si de rien n’était
EDF a évidemment été parfaitement au fait de ces évolutions depuis le début puisqu’il est le client
d’Areva pour la fourniture de la cuve du réacteur.
Malgré tous ces avertissements, la cuve du réacteur est livrée sur le site de Flamanville en octobre
2013 et installée dans le bâtiment réacteur en janvier 2014, tandis que le dôme du bâtiment réacteur a
été installé en juillet 2013.
A toutes les interrogations sur les anomalies de pièces de la cuve, EDF répond qu’il n’y a pas de
problème, qu’il n’y a pas de « Plan B » et que le démarrage est prévu pour 2016 (date reportée depuis
à 2018). Et, comme nous venons de le voir, EDF a installé le couvercle de cuve « défaillant » en
février 2016.
2. UNE PROCEDURE DEROGATOIRE INACCEPTABLE
2.1 Une nouvelle procédure bien opportune
Pourquoi un tel excès de confiance de la part d’Areva et surtout d’EDF qui est, après tout, le premier
responsable de la sûreté de ses réacteurs et qui a réussi à créer un « fait accompli » en installant la
cuve de l’EPR alors que la qualification technique n’était pas reconnue ?
Cela parce que, très opportunément, un décret du 1er juillet 2015xv et son arrêté d’application du 30
décembre 2015xvi relatif aux équipements sous pression nucléaires, dont font partie les cuves des
réacteurs, fait bénéficier d’un régime dérogatoire l’application des règles de conformité des
équipements sous pression nucléaires.
On lit en effet dans l’article 9 de cet arrêté :
« En application de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement, en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou
limités, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, par décision prise après avis de la Commission centrale
des appareils à pression, autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un
équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des
exigences des articles L.557-4 et L.557-5 du code de l’environnement, du chapitre VII du titre V de la
partie réglementaire du code de l’environnement et du présent arrêté ».
5
La cuve de l’EPR se trouve dans cette situation et l’avis de l’ASN soumis à la consultation constitue
de fait une réponse anticipée à la demande de dérogation que ne manquerons pas de faire EDF et
Areva (ou EDF seul en fonction de l’évolution du montage industriel d’absorption par EDF d’Areva
NP).
Il est difficile de ne pas voir dans la publication de ce décret, signé par le premier ministre et les
ministres concernées, et de son arrêté d’application, l’invention d’une procédure ad hoc pour éviter
des difficultés à EDF et Areva.
2.2 Une telle procédure de dérogation est inacceptable à plusieurs titres
a) Dans son principe, cette procédure dérogatoire est dangereuse car elle crée un précédent que les
exploitants et les fournisseurs d’équipements ne manqueront pas d’utiliser, et cela d’autant plus
facilement que les conditions laissent une large part à l’arbitraire : « … en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée… ».
On peut d’ailleurs sur ce point s’interroger sur la légitimité institutionnelle de l’Autorité de sûreté
nucléaire à porter un jugement sur un critère (la difficulté particulière) qui ne relèverait pas de la
sûreté nucléaire, ce qui serait très probablement le cas le plus fréquent.
Ce texte est d’autre part très imprécis sur les conditions de son application : le demandeur doit assurer
notamment que les risques sont suffisamment « prévenus ou limités », ce qui laisse une très large
marge d’appréciation.
On imagine très bien que d’autres secteurs industriels pourraient à leur tour obtenir une telle
procédure, avec les dégâts et les risques qu’une telle décision entraînerait.
b) Dans le cas du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR de Flamanville, une telle dérogation n’est
pas acceptable car elle porte sur deux éléments de la cuve du réacteur, dont la rupture pourrait
provoquer un accident grave, voire majeur (rupture qui, on l’a vu, est exclue des études de sûreté). Le
risque de rupture brutale de la cuve, accident considéré « par définition » comme impossible
(exclusion de rupture) est bien analysé dans le document CODEP déjà cité. Le risque n’est donc pas a
priori limité et par conséquent la demande de dérogation devrait être refusée.
Cette question du risque est d’ailleurs mise en évidence par l’une des conditions formulées dans l’avis
de l’ASN : « L’utilisation du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ne pourra être
autorisée au-delà du 31 décembre 2024 ».
On ne saurait mieux admettre que cette pièce est défaillante puisqu’il va falloir la remplacer à court
terme. C’est reconnaître que le réacteur EPR, s’il démarre avant 2024, fonctionnerait pendant plusieurs
années en état de sûreté dégradé, ce qui n’est pas acceptable.
6
c) Toujours dans le cas des deux calottes de la cuve de l’EPR, quelle est la « difficulté particulière »
qui conduit à la demande de dérogation ?
C’est le fait que l’exploitant EDF a créé une situation considérée comme irréversible en acceptant et
installant la cuve alors que la défaillance de deux de ses éléments était connue. Et que, évidemment, il
serait très onéreux et cause de retard dans le démarrage de l’EPR de réaliser le remplacement des
éléments défaillants.
La « difficulté particulière » est d’ordre économique et industriel et largement due au comportement
des deux grands opérateurs concernés, Areva et EDF.
D’ailleurs, ASN et IRSN confirment ce constat dans l’introduction du rapport CODEP déjà citéxvii :
« Areva NP estime que l’approvisionnement d’un nouveau couvercle et le remplacement de l’actuel,
qui est une opération qui a déjà été réalisée sur plusieurs réacteurs, nécessite au moins 75 mois.
Areva NP et EDF ont également étudié la possibilité de remettre en conformité le fond de la cuve et
estiment que les conséquences seraient disproportionnées en termes de coût, de délai et de
conséquences sur le modèle de réacteur EPR et sur la filière nucléaire ».
Cette opinion des deux opérateurs directement concernés et directement responsables de cette situation
de risque semble bien être acceptée sans discussion. Il est clair en tout cas qu’elle est bien de caractère
économique et de politique industrielle.
Il n’est pas certain que « l’avenir de la filière » soit conforté par l’acceptation d’une telle défaillance
sur un réacteur considéré comme un prototype et soit préférable à l’admission et la correction d’une
erreur qui pourrait avoir des conséquences graves.
De plus, la perte de confiance qui résulterait d’une telle dérogation vis-à-vis des opérateurs (celle-ci
est déjà bien ébranlée) et surtout vis-à-vis des organismes des organismes de contrôle de la sûreté
comme des responsables politiques est sans doute plus grave que les considérations de pouvoir et
d’argent qui ont conduit à une telle orientation.
Nous rejoignons l’opinion de MM. Marignac et Autret exprimée dans leur avis minoritaire sur le
Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (26-27 juin
2017) présenté ci-dessous.
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret
« Les éléments fournis par Areva NP pour justifier de l’aptitude au service de la cuve, bien qu’ils
soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la
caractérisation du matériau, à l’exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des
hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone
ségrégée vis-à-vis du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport
aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.
7
Le non respect de l’exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par
sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le
caractère tardif des la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la
cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de
cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.
La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas
les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et
débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la
résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.
Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges
perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.
Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l’éventuelle mise en service de la cuve. A cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible ».
Après une dizaine d’années d’atermoiements, on aboutit au résultat que le couvercle et le fond de cuve de l’EPR de Flamanville en
construction, pièces dont la qualité de fabrication est essentielle pour la sûreté du réacteur, ne sont pas conformes et devraient, si l’on respecte la réglementation, être rejetées.
De façon opportune, en juillet puis décembre 2015, une nouvelle procédure de dérogation à l’application de la réglementation a permis de contourner l’obstacle et a conduit l’ASN à émettre un avis favorable à la mise en service de la cuve de l’EPR, sous certaines conditions elles-mêmes discutables.
La dérogation qu’implique de fait l’avis de l’ASN n’est pas acceptable, ni dans son principe, ni dans le cas de la cuve de l’EPR, ce qui me conduit à demander le retrait de cet avis.
La mise en service de la cuve de l’EPR du réacteur en construction de Flamanville, en l’état, ne doit pas être autorisée.
12/09/2017 23:09
Cuve EPR
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en consultation publique un projet d’avis relatif à
l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de cuve du réacteur EPR de
Flamanville (INB n°167).
L’élément essentiel de cet avis est sa première phrase :
« L’anomalie de la composition en carbone de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur
de Flamanville n’est pas de nature à remettre en cause la mise en service de celle-ci, sous réserve
des conditions suivantes ».
Rappelons que (Fiche pédagogique IRSN du 28 juin 2017, page 1) :
« La cuve fait partie des équipements dits « en exclusion de rupture ». Cela signifie que sa défaillance
et sa rupture ne sont pas postulées dans la démonstration de sûreté.
En conséquence, sa conception, sa fabrication et son suivi en service font l’objet de dispositions de
contrôle particulièrement exigeantes afin d’écarter le risque de rupture (règles de conception
spécifiques, procédés de fabrication et de contrôle permettant de démontrer l’obtention d’un très haut
niveau de fabrication, contrôles non destructifs renforcés en service… ».
1. COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
1.1 Une anomalie signalée récemment ?
Dans son introduction, le rapport ASN-IRSN (CODEP-DEP-2017-19368) nous dit simplement :
« Les calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont été fabriquées
en 2006 et 2007 par forgeage par l’usine Creusot Forge d’Areva NP.
Ces composant sont soumis à l’exigence de qualification technique de l’arrêté EPSN car ils
présentent un risque d’hétérogénéité de leurs caractéristiques.
Dans le cadre de cette qualification technique, Areva NP a mesuré des valeurs de résilienceiv
inférieures aux valeurs mentionnées par le point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSNv, ce qui l’a amené
en 2015 à proposer à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une démarche destinée à justifier le
caractère suffisant de la ténacité du matériau de ces composants, basée sur un programme d’essais
sur des calottes sacrificielles et les analyses de mécanique du risque de rupture brutale ».
2
Dans son communiqué de presse du 28 juin 2017, l’ASN précise qu’Areva a « mis en évidence » une
anomalie de la composition chimiquevi dans l’acier de ces équipements vitaux pour la sûreté du
réacteur à la fin de 2014. L’ASN rappelle qu’elle a rendu publique le 7 avril 2015 cette information.
On a donc le sentiment que cette affaire est relativement récente. Et on peut quand même s’interroger
sur le temps, presque dix ans, mis pour s’en apercevoir
1.2 Et pourtant…
• Dès 2005, l’ASNvii (BCCNviii) avait alerté EDF sur le fait que l’usine Creusot Forge connaissait de
sérieux problèmes de qualité. C’était avant la fabrication de la cuve de l’EPR :
« Dans le cadre de sa mission de contrôle de la fabrication des équipements sous pression
nucléaires, le BCCN a récemment constaté de nombreux écarts concernant le forgeron Creusot
Forge » et annonçait une inspection de Creusot Forge.
• Le rapport de février 2017 du HCTISNx permet de mieux connaître le déroulement des
choses partir de 2006 :
« Au cours de l’été 2006, l’ASN (BCCN) a posé un certain nombre de questions relatives aux
approvisionnements anticipés de la cuve de FA3xi, dont une sur la manière d’apporter la preuve de
l’homogénéité des propriétés mécaniques des calottes (lettre du 21 août).
Il a été répondu (lettre AREVA du 27 novembre) que ceci ferait l’objet des dossiers de Qualification
Technique, dont le contenu allait se discuter dans les semaines à venir, dans le cadre de la définition
des modalités d’application de l’EPSN ».
Il y avait donc déjà anguille sous roche…
« AREVA a produit plusieurs versions des Synthèses de Qualification technique des calottes. En ce qui
concerne la zone externe centrale, elles estimaient qu’après usinage, seules des ségrégations
résiduelles demeureraient, assurant des propriétés mécaniques conformes ».
• Le temps passe, « AREVA estimant que les exigences seraient satisfaites ». Il paraît cependant
nécessaire de recourir à des mesures expérimentales sur une pièce sacrificielle. Ce n’est qu’en
septembre 2014 que ces mesures expérimentales sur la carotte d’une pièce initialement prévue
pour un (possible) réacteur aux Etats-Unis ces mesures mettent en évidence les anomalies.
• Afin de bien préciser les responsabilités premières, le même rapport du HCTISN nous apprend
qu’AREVA a prélevé et analysé en 2007 plusieurs copeaux de matière sur les deux faces de
chacun des flans forgés (disques plats avant mise en forme) à l’origine des deux calottes
(couvercle et fond de la cuve de FA3) : "Sur le côté tête, les deux prélèvement effectués sur la
calotte supérieure ont donné des valeurs de concentration de carbone élevées (0,265% et 0,277%)
qui auraient pu amener à s’interroger dès 2007 sur la présence de ségrégations majeures
positives. Ces valeurs apparaissent en 2007 dans la version B du dossier de synthèse de la
qualification M140 en référence (23) mais le procès-verbal d’essais annexé (page 117/140)
indique que les résultats sont conformes ».
3
• De nouveau, en 2013, des tests supplémentaires réalisés en 2013 avaient donné des résultats
avoisinant les 45 J (pour la résilience) au lieu des 60J prévus par la réglementation. Le rapport du
HCTISN précise que ni l’ASN, ni EDF n’avaient été prévenus de ces mauvais résultats.
• Enfin, le rapport CODEP déjà cité nous dit en page 19 :
«Fin 2014, Areva NP a informé l’ASN de résultats d‘essais de résilience plus faibles qu’attendu. Les
essais ont été réalisés dans le cadre de la qualification technique, sur des éprouvettes prélevées sur
une calotte destinée initialement à un projet de réacteur EPR aux Etats-Unisxii, dénommée calotte
supérieure UA, a priori représentative de celles destinées à la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
Les valeurs mesurées à 0° C sur deux séries de trois éprouvettes présentaient une valeur minimale de
36 J (Joule) et une valeur moyenne de 52 J ne permettant pas d’atteindre la qualité alors attendue par
Areva NP. Ces valeurs sont également inférieures à la valeur de résilience de 60 J mentionnée au
point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSN en référence (3)xiii ».
Il faudra donc attendre avril 2015 pour que l’ASN rende publique l’information sur la non
conformité des calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
1.3 Le jugement de l’Autorité de Sûreté tombe :
Dans sa lettre du 14 décembre 2015xiv au président d’Areva, le président de l’ASN écrit :
« Je considère que le dossier de qualification technique que vous avez présenté pour les calottes du
fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux
ségrégations majeures positives résiduelles, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et
ses conséquences mal quantifiées.
Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez
pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de
l’EPR ».
La sanction est tombée. Dans ces conditions, la mise en service de la cuve de l’EPR ne peut pas
être autorisée.
Mais, dans la même lettre, le président de l’ASN propose une voie détournée que nous allons
examiner au chapitre suivant :
« Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de
l’environnement ».
1.4 Sur le couvercle de cuve
Un paragraphe étonnant apparaît dans la lettre du 14 décembre 2015 :
« Je note que vous envisagez de poursuivre les opérations de fabrication sur le couvercle (épreuve
hydraulique, soudage des fermetures d’adaptateurs d’instrumentation, expédition sur site, habillage,
calorifugeage… ) sans attendre les résultats des essais qui seront réalisés sur les calottes
sacrificielles ».
4
Surprenant en effet quand on sait que la cuve a été installée dans le réacteur en janvier 2014. Cela
signifie par conséquent que la cuve installée à cette date possédait un couvercle « factice » qui n’était
pas le couvercle prévu. En effet, on apprend par ailleurs que le « vrai » couvercle n’a été livré sur le
site de Flamanville que le 16 février 2016 et a été installé ensuite, alors que les défauts de cette pièce
étaient prouvés et que la qualification technique n’était pas acceptée.
1.5 Et, pendant ce temps là, EDF fait comme si de rien n’était
EDF a évidemment été parfaitement au fait de ces évolutions depuis le début puisqu’il est le client
d’Areva pour la fourniture de la cuve du réacteur.
Malgré tous ces avertissements, la cuve du réacteur est livrée sur le site de Flamanville en octobre
2013 et installée dans le bâtiment réacteur en janvier 2014, tandis que le dôme du bâtiment réacteur a
été installé en juillet 2013.
A toutes les interrogations sur les anomalies de pièces de la cuve, EDF répond qu’il n’y a pas de
problème, qu’il n’y a pas de « Plan B » et que le démarrage est prévu pour 2016 (date reportée depuis
à 2018). Et, comme nous venons de le voir, EDF a installé le couvercle de cuve « défaillant » en
février 2016.
2. UNE PROCEDURE DEROGATOIRE INACCEPTABLE
2.1 Une nouvelle procédure bien opportune
Pourquoi un tel excès de confiance de la part d’Areva et surtout d’EDF qui est, après tout, le premier
responsable de la sûreté de ses réacteurs et qui a réussi à créer un « fait accompli » en installant la
cuve de l’EPR alors que la qualification technique n’était pas reconnue ?
Cela parce que, très opportunément, un décret du 1er juillet 2015xv et son arrêté d’application du 30
décembre 2015xvi relatif aux équipements sous pression nucléaires, dont font partie les cuves des
réacteurs, fait bénéficier d’un régime dérogatoire l’application des règles de conformité des
équipements sous pression nucléaires.
On lit en effet dans l’article 9 de cet arrêté :
« En application de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement, en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou
limités, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, par décision prise après avis de la Commission centrale
des appareils à pression, autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un
équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des
exigences des articles L.557-4 et L.557-5 du code de l’environnement, du chapitre VII du titre V de la
partie réglementaire du code de l’environnement et du présent arrêté ».
5
La cuve de l’EPR se trouve dans cette situation et l’avis de l’ASN soumis à la consultation constitue
de fait une réponse anticipée à la demande de dérogation que ne manquerons pas de faire EDF et
Areva (ou EDF seul en fonction de l’évolution du montage industriel d’absorption par EDF d’Areva
NP).
Il est difficile de ne pas voir dans la publication de ce décret, signé par le premier ministre et les
ministres concernées, et de son arrêté d’application, l’invention d’une procédure ad hoc pour éviter
des difficultés à EDF et Areva.
2.2 Une telle procédure de dérogation est inacceptable à plusieurs titres
a) Dans son principe, cette procédure dérogatoire est dangereuse car elle crée un précédent que les
exploitants et les fournisseurs d’équipements ne manqueront pas d’utiliser, et cela d’autant plus
facilement que les conditions laissent une large part à l’arbitraire : « … en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée… ».
On peut d’ailleurs sur ce point s’interroger sur la légitimité institutionnelle de l’Autorité de sûreté
nucléaire à porter un jugement sur un critère (la difficulté particulière) qui ne relèverait pas de la
sûreté nucléaire, ce qui serait très probablement le cas le plus fréquent.
Ce texte est d’autre part très imprécis sur les conditions de son application : le demandeur doit assurer
notamment que les risques sont suffisamment « prévenus ou limités », ce qui laisse une très large
marge d’appréciation.
On imagine très bien que d’autres secteurs industriels pourraient à leur tour obtenir une telle
procédure, avec les dégâts et les risques qu’une telle décision entraînerait.
b) Dans le cas du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR de Flamanville, une telle dérogation n’est
pas acceptable car elle porte sur deux éléments de la cuve du réacteur, dont la rupture pourrait
provoquer un accident grave, voire majeur (rupture qui, on l’a vu, est exclue des études de sûreté). Le
risque de rupture brutale de la cuve, accident considéré « par définition » comme impossible
(exclusion de rupture) est bien analysé dans le document CODEP déjà cité. Le risque n’est donc pas a
priori limité et par conséquent la demande de dérogation devrait être refusée.
Cette question du risque est d’ailleurs mise en évidence par l’une des conditions formulées dans l’avis
de l’ASN : « L’utilisation du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ne pourra être
autorisée au-delà du 31 décembre 2024 ».
On ne saurait mieux admettre que cette pièce est défaillante puisqu’il va falloir la remplacer à court
terme. C’est reconnaître que le réacteur EPR, s’il démarre avant 2024, fonctionnerait pendant plusieurs
années en état de sûreté dégradé, ce qui n’est pas acceptable.
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c) Toujours dans le cas des deux calottes de la cuve de l’EPR, quelle est la « difficulté particulière »
qui conduit à la demande de dérogation ?
C’est le fait que l’exploitant EDF a créé une situation considérée comme irréversible en acceptant et
installant la cuve alors que la défaillance de deux de ses éléments était connue. Et que, évidemment, il
serait très onéreux et cause de retard dans le démarrage de l’EPR de réaliser le remplacement des
éléments défaillants.
La « difficulté particulière » est d’ordre économique et industriel et largement due au comportement
des deux grands opérateurs concernés, Areva et EDF.
D’ailleurs, ASN et IRSN confirment ce constat dans l’introduction du rapport CODEP déjà citéxvii :
« Areva NP estime que l’approvisionnement d’un nouveau couvercle et le remplacement de l’actuel,
qui est une opération qui a déjà été réalisée sur plusieurs réacteurs, nécessite au moins 75 mois.
Areva NP et EDF ont également étudié la possibilité de remettre en conformité le fond de la cuve et
estiment que les conséquences seraient disproportionnées en termes de coût, de délai et de
conséquences sur le modèle de réacteur EPR et sur la filière nucléaire ».
Cette opinion des deux opérateurs directement concernés et directement responsables de cette situation
de risque semble bien être acceptée sans discussion. Il est clair en tout cas qu’elle est bien de caractère
économique et de politique industrielle.
Il n’est pas certain que « l’avenir de la filière » soit conforté par l’acceptation d’une telle défaillance
sur un réacteur considéré comme un prototype et soit préférable à l’admission et la correction d’une
erreur qui pourrait avoir des conséquences graves.
De plus, la perte de confiance qui résulterait d’une telle dérogation vis-à-vis des opérateurs (celle-ci
est déjà bien ébranlée) et surtout vis-à-vis des organismes des organismes de contrôle de la sûreté
comme des responsables politiques est sans doute plus grave que les considérations de pouvoir et
d’argent qui ont conduit à une telle orientation.
Nous rejoignons l’opinion de MM. Marignac et Autret exprimée dans leur avis minoritaire sur le
Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (26-27 juin
2017) présenté ci-dessous.
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret
« Les éléments fournis par Areva NP pour justifier de l’aptitude au service de la cuve, bien qu’ils
soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la
caractérisation du matériau, à l’exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des
hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone
ségrégée vis-à-vis du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport
aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.
7
Le non respect de l’exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par
sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le
caractère tardif des la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la
cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de
cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.
La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas
les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et
débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la
résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.
Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges
perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.
Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l’éventuelle mise en service de la cuve. A cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible ».
Après une dizaine d’années d’atermoiements, on aboutit au résultat que le couvercle et le fond de cuve de l’EPR de Flamanville en
construction, pièces dont la qualité de fabrication est essentielle pour la sûreté du réacteur, ne sont pas conformes et devraient, si l’on respecte la réglementation, être rejetées.
De façon opportune, en juillet puis décembre 2015, une nouvelle procédure de dérogation à l’application de la réglementation a permis de contourner l’obstacle et a conduit l’ASN à émettre un avis favorable à la mise en service de la cuve de l’EPR, sous certaines conditions elles-mêmes discutables.
La dérogation qu’implique de fait l’avis de l’ASN n’est pas acceptable, ni dans son principe, ni dans le cas de la cuve de l’EPR, ce qui me conduit à demander le retrait de cet avis.
La mise en service de la cuve de l’EPR du réacteur en construction de Flamanville, en l’état, ne doit pas être autorisée.
12/09/2017 23:09
Cuve EPR
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en consultation publique un projet d’avis relatif à
l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de cuve du réacteur EPR de
Flamanville (INB n°167).
L’élément essentiel de cet avis est sa première phrase :
« L’anomalie de la composition en carbone de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur
de Flamanville n’est pas de nature à remettre en cause la mise en service de celle-ci, sous réserve
des conditions suivantes ».
Rappelons que (Fiche pédagogique IRSN du 28 juin 2017, page 1) :
« La cuve fait partie des équipements dits « en exclusion de rupture ». Cela signifie que sa défaillance
et sa rupture ne sont pas postulées dans la démonstration de sûreté.
En conséquence, sa conception, sa fabrication et son suivi en service font l’objet de dispositions de
contrôle particulièrement exigeantes afin d’écarter le risque de rupture (règles de conception
spécifiques, procédés de fabrication et de contrôle permettant de démontrer l’obtention d’un très haut
niveau de fabrication, contrôles non destructifs renforcés en service… ».
1. COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
1.1 Une anomalie signalée récemment ?
Dans son introduction, le rapport ASN-IRSN (CODEP-DEP-2017-19368) nous dit simplement :
« Les calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont été fabriquées
en 2006 et 2007 par forgeage par l’usine Creusot Forge d’Areva NP.
Ces composant sont soumis à l’exigence de qualification technique de l’arrêté EPSN car ils
présentent un risque d’hétérogénéité de leurs caractéristiques.
Dans le cadre de cette qualification technique, Areva NP a mesuré des valeurs de résilienceiv
inférieures aux valeurs mentionnées par le point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSNv, ce qui l’a amené
en 2015 à proposer à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une démarche destinée à justifier le
caractère suffisant de la ténacité du matériau de ces composants, basée sur un programme d’essais
sur des calottes sacrificielles et les analyses de mécanique du risque de rupture brutale ».
2
Dans son communiqué de presse du 28 juin 2017, l’ASN précise qu’Areva a « mis en évidence » une
anomalie de la composition chimiquevi dans l’acier de ces équipements vitaux pour la sûreté du
réacteur à la fin de 2014. L’ASN rappelle qu’elle a rendu publique le 7 avril 2015 cette information.
On a donc le sentiment que cette affaire est relativement récente. Et on peut quand même s’interroger
sur le temps, presque dix ans, mis pour s’en apercevoir
1.2 Et pourtant…
• Dès 2005, l’ASNvii (BCCNviii) avait alerté EDF sur le fait que l’usine Creusot Forge connaissait de
sérieux problèmes de qualité. C’était avant la fabrication de la cuve de l’EPR :
« Dans le cadre de sa mission de contrôle de la fabrication des équipements sous pression
nucléaires, le BCCN a récemment constaté de nombreux écarts concernant le forgeron Creusot
Forge » et annonçait une inspection de Creusot Forge.
• Le rapport de février 2017 du HCTISNx permet de mieux connaître le déroulement des
choses partir de 2006 :
« Au cours de l’été 2006, l’ASN (BCCN) a posé un certain nombre de questions relatives aux
approvisionnements anticipés de la cuve de FA3xi, dont une sur la manière d’apporter la preuve de
l’homogénéité des propriétés mécaniques des calottes (lettre du 21 août).
Il a été répondu (lettre AREVA du 27 novembre) que ceci ferait l’objet des dossiers de Qualification
Technique, dont le contenu allait se discuter dans les semaines à venir, dans le cadre de la définition
des modalités d’application de l’EPSN ».
Il y avait donc déjà anguille sous roche…
« AREVA a produit plusieurs versions des Synthèses de Qualification technique des calottes. En ce qui
concerne la zone externe centrale, elles estimaient qu’après usinage, seules des ségrégations
résiduelles demeureraient, assurant des propriétés mécaniques conformes ».
• Le temps passe, « AREVA estimant que les exigences seraient satisfaites ». Il paraît cependant
nécessaire de recourir à des mesures expérimentales sur une pièce sacrificielle. Ce n’est qu’en
septembre 2014 que ces mesures expérimentales sur la carotte d’une pièce initialement prévue
pour un (possible) réacteur aux Etats-Unis ces mesures mettent en évidence les anomalies.
• Afin de bien préciser les responsabilités premières, le même rapport du HCTISN nous apprend
qu’AREVA a prélevé et analysé en 2007 plusieurs copeaux de matière sur les deux faces de
chacun des flans forgés (disques plats avant mise en forme) à l’origine des deux calottes
(couvercle et fond de la cuve de FA3) : "Sur le côté tête, les deux prélèvement effectués sur la
calotte supérieure ont donné des valeurs de concentration de carbone élevées (0,265% et 0,277%)
qui auraient pu amener à s’interroger dès 2007 sur la présence de ségrégations majeures
positives. Ces valeurs apparaissent en 2007 dans la version B du dossier de synthèse de la
qualification M140 en référence (23) mais le procès-verbal d’essais annexé (page 117/140)
indique que les résultats sont conformes ».
3
• De nouveau, en 2013, des tests supplémentaires réalisés en 2013 avaient donné des résultats
avoisinant les 45 J (pour la résilience) au lieu des 60J prévus par la réglementation. Le rapport du
HCTISN précise que ni l’ASN, ni EDF n’avaient été prévenus de ces mauvais résultats.
• Enfin, le rapport CODEP déjà cité nous dit en page 19 :
«Fin 2014, Areva NP a informé l’ASN de résultats d‘essais de résilience plus faibles qu’attendu. Les
essais ont été réalisés dans le cadre de la qualification technique, sur des éprouvettes prélevées sur
une calotte destinée initialement à un projet de réacteur EPR aux Etats-Unisxii, dénommée calotte
supérieure UA, a priori représentative de celles destinées à la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
Les valeurs mesurées à 0° C sur deux séries de trois éprouvettes présentaient une valeur minimale de
36 J (Joule) et une valeur moyenne de 52 J ne permettant pas d’atteindre la qualité alors attendue par
Areva NP. Ces valeurs sont également inférieures à la valeur de résilience de 60 J mentionnée au
point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSN en référence (3)xiii ».
Il faudra donc attendre avril 2015 pour que l’ASN rende publique l’information sur la non
conformité des calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
1.3 Le jugement de l’Autorité de Sûreté tombe :
Dans sa lettre du 14 décembre 2015xiv au président d’Areva, le président de l’ASN écrit :
« Je considère que le dossier de qualification technique que vous avez présenté pour les calottes du
fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux
ségrégations majeures positives résiduelles, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et
ses conséquences mal quantifiées.
Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez
pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de
l’EPR ».
La sanction est tombée. Dans ces conditions, la mise en service de la cuve de l’EPR ne peut pas
être autorisée.
Mais, dans la même lettre, le président de l’ASN propose une voie détournée que nous allons
examiner au chapitre suivant :
« Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de
l’environnement ».
1.4 Sur le couvercle de cuve
Un paragraphe étonnant apparaît dans la lettre du 14 décembre 2015 :
« Je note que vous envisagez de poursuivre les opérations de fabrication sur le couvercle (épreuve
hydraulique, soudage des fermetures d’adaptateurs d’instrumentation, expédition sur site, habillage,
calorifugeage… ) sans attendre les résultats des essais qui seront réalisés sur les calottes
sacrificielles ».
4
Surprenant en effet quand on sait que la cuve a été installée dans le réacteur en janvier 2014. Cela
signifie par conséquent que la cuve installée à cette date possédait un couvercle « factice » qui n’était
pas le couvercle prévu. En effet, on apprend par ailleurs que le « vrai » couvercle n’a été livré sur le
site de Flamanville que le 16 février 2016 et a été installé ensuite, alors que les défauts de cette pièce
étaient prouvés et que la qualification technique n’était pas acceptée.
1.5 Et, pendant ce temps là, EDF fait comme si de rien n’était
EDF a évidemment été parfaitement au fait de ces évolutions depuis le début puisqu’il est le client
d’Areva pour la fourniture de la cuve du réacteur.
Malgré tous ces avertissements, la cuve du réacteur est livrée sur le site de Flamanville en octobre
2013 et installée dans le bâtiment réacteur en janvier 2014, tandis que le dôme du bâtiment réacteur a
été installé en juillet 2013.
A toutes les interrogations sur les anomalies de pièces de la cuve, EDF répond qu’il n’y a pas de
problème, qu’il n’y a pas de « Plan B » et que le démarrage est prévu pour 2016 (date reportée depuis
à 2018). Et, comme nous venons de le voir, EDF a installé le couvercle de cuve « défaillant » en
février 2016.
2. UNE PROCEDURE DEROGATOIRE INACCEPTABLE
2.1 Une nouvelle procédure bien opportune
Pourquoi un tel excès de confiance de la part d’Areva et surtout d’EDF qui est, après tout, le premier
responsable de la sûreté de ses réacteurs et qui a réussi à créer un « fait accompli » en installant la
cuve de l’EPR alors que la qualification technique n’était pas reconnue ?
Cela parce que, très opportunément, un décret du 1er juillet 2015xv et son arrêté d’application du 30
décembre 2015xvi relatif aux équipements sous pression nucléaires, dont font partie les cuves des
réacteurs, fait bénéficier d’un régime dérogatoire l’application des règles de conformité des
équipements sous pression nucléaires.
On lit en effet dans l’article 9 de cet arrêté :
« En application de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement, en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou
limités, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, par décision prise après avis de la Commission centrale
des appareils à pression, autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un
équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des
exigences des articles L.557-4 et L.557-5 du code de l’environnement, du chapitre VII du titre V de la
partie réglementaire du code de l’environnement et du présent arrêté ».
5
La cuve de l’EPR se trouve dans cette situation et l’avis de l’ASN soumis à la consultation constitue
de fait une réponse anticipée à la demande de dérogation que ne manquerons pas de faire EDF et
Areva (ou EDF seul en fonction de l’évolution du montage industriel d’absorption par EDF d’Areva
NP).
Il est difficile de ne pas voir dans la publication de ce décret, signé par le premier ministre et les
ministres concernées, et de son arrêté d’application, l’invention d’une procédure ad hoc pour éviter
des difficultés à EDF et Areva.
2.2 Une telle procédure de dérogation est inacceptable à plusieurs titres
a) Dans son principe, cette procédure dérogatoire est dangereuse car elle crée un précédent que les
exploitants et les fournisseurs d’équipements ne manqueront pas d’utiliser, et cela d’autant plus
facilement que les conditions laissent une large part à l’arbitraire : « … en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée… ».
On peut d’ailleurs sur ce point s’interroger sur la légitimité institutionnelle de l’Autorité de sûreté
nucléaire à porter un jugement sur un critère (la difficulté particulière) qui ne relèverait pas de la
sûreté nucléaire, ce qui serait très probablement le cas le plus fréquent.
Ce texte est d’autre part très imprécis sur les conditions de son application : le demandeur doit assurer
notamment que les risques sont suffisamment « prévenus ou limités », ce qui laisse une très large
marge d’appréciation.
On imagine très bien que d’autres secteurs industriels pourraient à leur tour obtenir une telle
procédure, avec les dégâts et les risques qu’une telle décision entraînerait.
b) Dans le cas du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR de Flamanville, une telle dérogation n’est
pas acceptable car elle porte sur deux éléments de la cuve du réacteur, dont la rupture pourrait
provoquer un accident grave, voire majeur (rupture qui, on l’a vu, est exclue des études de sûreté). Le
risque de rupture brutale de la cuve, accident considéré « par définition » comme impossible
(exclusion de rupture) est bien analysé dans le document CODEP déjà cité. Le risque n’est donc pas a
priori limité et par conséquent la demande de dérogation devrait être refusée.
Cette question du risque est d’ailleurs mise en évidence par l’une des conditions formulées dans l’avis
de l’ASN : « L’utilisation du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ne pourra être
autorisée au-delà du 31 décembre 2024 ».
On ne saurait mieux admettre que cette pièce est défaillante puisqu’il va falloir la remplacer à court
terme. C’est reconnaître que le réacteur EPR, s’il démarre avant 2024, fonctionnerait pendant plusieurs
années en état de sûreté dégradé, ce qui n’est pas acceptable.
6
c) Toujours dans le cas des deux calottes de la cuve de l’EPR, quelle est la « difficulté particulière »
qui conduit à la demande de dérogation ?
C’est le fait que l’exploitant EDF a créé une situation considérée comme irréversible en acceptant et
installant la cuve alors que la défaillance de deux de ses éléments était connue. Et que, évidemment, il
serait très onéreux et cause de retard dans le démarrage de l’EPR de réaliser le remplacement des
éléments défaillants.
La « difficulté particulière » est d’ordre économique et industriel et largement due au comportement
des deux grands opérateurs concernés, Areva et EDF.
D’ailleurs, ASN et IRSN confirment ce constat dans l’introduction du rapport CODEP déjà citéxvii :
« Areva NP estime que l’approvisionnement d’un nouveau couvercle et le remplacement de l’actuel,
qui est une opération qui a déjà été réalisée sur plusieurs réacteurs, nécessite au moins 75 mois.
Areva NP et EDF ont également étudié la possibilité de remettre en conformité le fond de la cuve et
estiment que les conséquences seraient disproportionnées en termes de coût, de délai et de
conséquences sur le modèle de réacteur EPR et sur la filière nucléaire ».
Cette opinion des deux opérateurs directement concernés et directement responsables de cette situation
de risque semble bien être acceptée sans discussion. Il est clair en tout cas qu’elle est bien de caractère
économique et de politique industrielle.
Il n’est pas certain que « l’avenir de la filière » soit conforté par l’acceptation d’une telle défaillance
sur un réacteur considéré comme un prototype et soit préférable à l’admission et la correction d’une
erreur qui pourrait avoir des conséquences graves.
De plus, la perte de confiance qui résulterait d’une telle dérogation vis-à-vis des opérateurs (celle-ci
est déjà bien ébranlée) et surtout vis-à-vis des organismes des organismes de contrôle de la sûreté
comme des responsables politiques est sans doute plus grave que les considérations de pouvoir et
d’argent qui ont conduit à une telle orientation.
Nous rejoignons l’opinion de MM. Marignac et Autret exprimée dans leur avis minoritaire sur le
Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (26-27 juin
2017) présenté ci-dessous.
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret
« Les éléments fournis par Areva NP pour justifier de l’aptitude au service de la cuve, bien qu’ils
soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la
caractérisation du matériau, à l’exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des
hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone
ségrégée vis-à-vis du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport
aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.
7
Le non respect de l’exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par
sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le
caractère tardif des la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la
cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de
cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.
La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas
les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et
débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la
résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.
Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges
perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.
Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l’éventuelle mise en service de la cuve. A cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible ».
Après une dizaine d’années d’atermoiements, on aboutit au résultat que le couvercle et le fond de cuve de l’EPR de Flamanville en
construction, pièces dont la qualité de fabrication est essentielle pour la sûreté du réacteur, ne sont pas conformes et devraient, si l’on respecte la réglementation, être rejetées.
De façon opportune, en juillet puis décembre 2015, une nouvelle procédure de dérogation à l’application de la réglementation a permis de contourner l’obstacle et a conduit l’ASN à émettre un avis favorable à la mise en service de la cuve de l’EPR, sous certaines conditions elles-mêmes discutables.
La dérogation qu’implique de fait l’avis de l’ASN n’est pas acceptable, ni dans son principe, ni dans le cas de la cuve de l’EPR, ce qui me conduit à demander le retrait de cet avis.
La mise en service de la cuve de l’EPR du réacteur en construction de Flamanville, en l’état, ne doit pas être autorisée.
12/09/2017 23:09
Cuve EPR
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en consultation publique un projet d’avis relatif à
l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de cuve du réacteur EPR de
Flamanville (INB n°167).
L’élément essentiel de cet avis est sa première phrase :
« L’anomalie de la composition en carbone de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur
de Flamanville n’est pas de nature à remettre en cause la mise en service de celle-ci, sous réserve
des conditions suivantes ».
Rappelons que (Fiche pédagogique IRSN du 28 juin 2017, page 1) :
« La cuve fait partie des équipements dits « en exclusion de rupture ». Cela signifie que sa défaillance
et sa rupture ne sont pas postulées dans la démonstration de sûreté.
En conséquence, sa conception, sa fabrication et son suivi en service font l’objet de dispositions de
contrôle particulièrement exigeantes afin d’écarter le risque de rupture (règles de conception
spécifiques, procédés de fabrication et de contrôle permettant de démontrer l’obtention d’un très haut
niveau de fabrication, contrôles non destructifs renforcés en service… ».
1. COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
1.1 Une anomalie signalée récemment ?
Dans son introduction, le rapport ASN-IRSN (CODEP-DEP-2017-19368) nous dit simplement :
« Les calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont été fabriquées
en 2006 et 2007 par forgeage par l’usine Creusot Forge d’Areva NP.
Ces composant sont soumis à l’exigence de qualification technique de l’arrêté EPSN car ils
présentent un risque d’hétérogénéité de leurs caractéristiques.
Dans le cadre de cette qualification technique, Areva NP a mesuré des valeurs de résilienceiv
inférieures aux valeurs mentionnées par le point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSNv, ce qui l’a amené
en 2015 à proposer à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une démarche destinée à justifier le
caractère suffisant de la ténacité du matériau de ces composants, basée sur un programme d’essais
sur des calottes sacrificielles et les analyses de mécanique du risque de rupture brutale ».
2
Dans son communiqué de presse du 28 juin 2017, l’ASN précise qu’Areva a « mis en évidence » une
anomalie de la composition chimiquevi dans l’acier de ces équipements vitaux pour la sûreté du
réacteur à la fin de 2014. L’ASN rappelle qu’elle a rendu publique le 7 avril 2015 cette information.
On a donc le sentiment que cette affaire est relativement récente. Et on peut quand même s’interroger
sur le temps, presque dix ans, mis pour s’en apercevoir
1.2 Et pourtant…
• Dès 2005, l’ASNvii (BCCNviii) avait alerté EDF sur le fait que l’usine Creusot Forge connaissait de
sérieux problèmes de qualité. C’était avant la fabrication de la cuve de l’EPR :
« Dans le cadre de sa mission de contrôle de la fabrication des équipements sous pression
nucléaires, le BCCN a récemment constaté de nombreux écarts concernant le forgeron Creusot
Forge » et annonçait une inspection de Creusot Forge.
• Le rapport de février 2017 du HCTISNx permet de mieux connaître le déroulement des
choses partir de 2006 :
« Au cours de l’été 2006, l’ASN (BCCN) a posé un certain nombre de questions relatives aux
approvisionnements anticipés de la cuve de FA3xi, dont une sur la manière d’apporter la preuve de
l’homogénéité des propriétés mécaniques des calottes (lettre du 21 août).
Il a été répondu (lettre AREVA du 27 novembre) que ceci ferait l’objet des dossiers de Qualification
Technique, dont le contenu allait se discuter dans les semaines à venir, dans le cadre de la définition
des modalités d’application de l’EPSN ».
Il y avait donc déjà anguille sous roche…
« AREVA a produit plusieurs versions des Synthèses de Qualification technique des calottes. En ce qui
concerne la zone externe centrale, elles estimaient qu’après usinage, seules des ségrégations
résiduelles demeureraient, assurant des propriétés mécaniques conformes ».
• Le temps passe, « AREVA estimant que les exigences seraient satisfaites ». Il paraît cependant
nécessaire de recourir à des mesures expérimentales sur une pièce sacrificielle. Ce n’est qu’en
septembre 2014 que ces mesures expérimentales sur la carotte d’une pièce initialement prévue
pour un (possible) réacteur aux Etats-Unis ces mesures mettent en évidence les anomalies.
• Afin de bien préciser les responsabilités premières, le même rapport du HCTISN nous apprend
qu’AREVA a prélevé et analysé en 2007 plusieurs copeaux de matière sur les deux faces de
chacun des flans forgés (disques plats avant mise en forme) à l’origine des deux calottes
(couvercle et fond de la cuve de FA3) : "Sur le côté tête, les deux prélèvement effectués sur la
calotte supérieure ont donné des valeurs de concentration de carbone élevées (0,265% et 0,277%)
qui auraient pu amener à s’interroger dès 2007 sur la présence de ségrégations majeures
positives. Ces valeurs apparaissent en 2007 dans la version B du dossier de synthèse de la
qualification M140 en référence (23) mais le procès-verbal d’essais annexé (page 117/140)
indique que les résultats sont conformes ».
3
• De nouveau, en 2013, des tests supplémentaires réalisés en 2013 avaient donné des résultats
avoisinant les 45 J (pour la résilience) au lieu des 60J prévus par la réglementation. Le rapport du
HCTISN précise que ni l’ASN, ni EDF n’avaient été prévenus de ces mauvais résultats.
• Enfin, le rapport CODEP déjà cité nous dit en page 19 :
«Fin 2014, Areva NP a informé l’ASN de résultats d‘essais de résilience plus faibles qu’attendu. Les
essais ont été réalisés dans le cadre de la qualification technique, sur des éprouvettes prélevées sur
une calotte destinée initialement à un projet de réacteur EPR aux Etats-Unisxii, dénommée calotte
supérieure UA, a priori représentative de celles destinées à la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
Les valeurs mesurées à 0° C sur deux séries de trois éprouvettes présentaient une valeur minimale de
36 J (Joule) et une valeur moyenne de 52 J ne permettant pas d’atteindre la qualité alors attendue par
Areva NP. Ces valeurs sont également inférieures à la valeur de résilience de 60 J mentionnée au
point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSN en référence (3)xiii ».
Il faudra donc attendre avril 2015 pour que l’ASN rende publique l’information sur la non
conformité des calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
1.3 Le jugement de l’Autorité de Sûreté tombe :
Dans sa lettre du 14 décembre 2015xiv au président d’Areva, le président de l’ASN écrit :
« Je considère que le dossier de qualification technique que vous avez présenté pour les calottes du
fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux
ségrégations majeures positives résiduelles, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et
ses conséquences mal quantifiées.
Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez
pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de
l’EPR ».
La sanction est tombée. Dans ces conditions, la mise en service de la cuve de l’EPR ne peut pas
être autorisée.
Mais, dans la même lettre, le président de l’ASN propose une voie détournée que nous allons
examiner au chapitre suivant :
« Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de
l’environnement ».
1.4 Sur le couvercle de cuve
Un paragraphe étonnant apparaît dans la lettre du 14 décembre 2015 :
« Je note que vous envisagez de poursuivre les opérations de fabrication sur le couvercle (épreuve
hydraulique, soudage des fermetures d’adaptateurs d’instrumentation, expédition sur site, habillage,
calorifugeage… ) sans attendre les résultats des essais qui seront réalisés sur les calottes
sacrificielles ».
4
Surprenant en effet quand on sait que la cuve a été installée dans le réacteur en janvier 2014. Cela
signifie par conséquent que la cuve installée à cette date possédait un couvercle « factice » qui n’était
pas le couvercle prévu. En effet, on apprend par ailleurs que le « vrai » couvercle n’a été livré sur le
site de Flamanville que le 16 février 2016 et a été installé ensuite, alors que les défauts de cette pièce
étaient prouvés et que la qualification technique n’était pas acceptée.
1.5 Et, pendant ce temps là, EDF fait comme si de rien n’était
EDF a évidemment été parfaitement au fait de ces évolutions depuis le début puisqu’il est le client
d’Areva pour la fourniture de la cuve du réacteur.
Malgré tous ces avertissements, la cuve du réacteur est livrée sur le site de Flamanville en octobre
2013 et installée dans le bâtiment réacteur en janvier 2014, tandis que le dôme du bâtiment réacteur a
été installé en juillet 2013.
A toutes les interrogations sur les anomalies de pièces de la cuve, EDF répond qu’il n’y a pas de
problème, qu’il n’y a pas de « Plan B » et que le démarrage est prévu pour 2016 (date reportée depuis
à 2018). Et, comme nous venons de le voir, EDF a installé le couvercle de cuve « défaillant » en
février 2016.
2. UNE PROCEDURE DEROGATOIRE INACCEPTABLE
2.1 Une nouvelle procédure bien opportune
Pourquoi un tel excès de confiance de la part d’Areva et surtout d’EDF qui est, après tout, le premier
responsable de la sûreté de ses réacteurs et qui a réussi à créer un « fait accompli » en installant la
cuve de l’EPR alors que la qualification technique n’était pas reconnue ?
Cela parce que, très opportunément, un décret du 1er juillet 2015xv et son arrêté d’application du 30
décembre 2015xvi relatif aux équipements sous pression nucléaires, dont font partie les cuves des
réacteurs, fait bénéficier d’un régime dérogatoire l’application des règles de conformité des
équipements sous pression nucléaires.
On lit en effet dans l’article 9 de cet arrêté :
« En application de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement, en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou
limités, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, par décision prise après avis de la Commission centrale
des appareils à pression, autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un
équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des
exigences des articles L.557-4 et L.557-5 du code de l’environnement, du chapitre VII du titre V de la
partie réglementaire du code de l’environnement et du présent arrêté ».
5
La cuve de l’EPR se trouve dans cette situation et l’avis de l’ASN soumis à la consultation constitue
de fait une réponse anticipée à la demande de dérogation que ne manquerons pas de faire EDF et
Areva (ou EDF seul en fonction de l’évolution du montage industriel d’absorption par EDF d’Areva
NP).
Il est difficile de ne pas voir dans la publication de ce décret, signé par le premier ministre et les
ministres concernées, et de son arrêté d’application, l’invention d’une procédure ad hoc pour éviter
des difficultés à EDF et Areva.
2.2 Une telle procédure de dérogation est inacceptable à plusieurs titres
a) Dans son principe, cette procédure dérogatoire est dangereuse car elle crée un précédent que les
exploitants et les fournisseurs d’équipements ne manqueront pas d’utiliser, et cela d’autant plus
facilement que les conditions laissent une large part à l’arbitraire : « … en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée… ».
On peut d’ailleurs sur ce point s’interroger sur la légitimité institutionnelle de l’Autorité de sûreté
nucléaire à porter un jugement sur un critère (la difficulté particulière) qui ne relèverait pas de la
sûreté nucléaire, ce qui serait très probablement le cas le plus fréquent.
Ce texte est d’autre part très imprécis sur les conditions de son application : le demandeur doit assurer
notamment que les risques sont suffisamment « prévenus ou limités », ce qui laisse une très large
marge d’appréciation.
On imagine très bien que d’autres secteurs industriels pourraient à leur tour obtenir une telle
procédure, avec les dégâts et les risques qu’une telle décision entraînerait.
b) Dans le cas du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR de Flamanville, une telle dérogation n’est
pas acceptable car elle porte sur deux éléments de la cuve du réacteur, dont la rupture pourrait
provoquer un accident grave, voire majeur (rupture qui, on l’a vu, est exclue des études de sûreté). Le
risque de rupture brutale de la cuve, accident considéré « par définition » comme impossible
(exclusion de rupture) est bien analysé dans le document CODEP déjà cité. Le risque n’est donc pas a
priori limité et par conséquent la demande de dérogation devrait être refusée.
Cette question du risque est d’ailleurs mise en évidence par l’une des conditions formulées dans l’avis
de l’ASN : « L’utilisation du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ne pourra être
autorisée au-delà du 31 décembre 2024 ».
On ne saurait mieux admettre que cette pièce est défaillante puisqu’il va falloir la remplacer à court
terme. C’est reconnaître que le réacteur EPR, s’il démarre avant 2024, fonctionnerait pendant plusieurs
années en état de sûreté dégradé, ce qui n’est pas acceptable.
6
c) Toujours dans le cas des deux calottes de la cuve de l’EPR, quelle est la « difficulté particulière »
qui conduit à la demande de dérogation ?
C’est le fait que l’exploitant EDF a créé une situation considérée comme irréversible en acceptant et
installant la cuve alors que la défaillance de deux de ses éléments était connue. Et que, évidemment, il
serait très onéreux et cause de retard dans le démarrage de l’EPR de réaliser le remplacement des
éléments défaillants.
La « difficulté particulière » est d’ordre économique et industriel et largement due au comportement
des deux grands opérateurs concernés, Areva et EDF.
D’ailleurs, ASN et IRSN confirment ce constat dans l’introduction du rapport CODEP déjà citéxvii :
« Areva NP estime que l’approvisionnement d’un nouveau couvercle et le remplacement de l’actuel,
qui est une opération qui a déjà été réalisée sur plusieurs réacteurs, nécessite au moins 75 mois.
Areva NP et EDF ont également étudié la possibilité de remettre en conformité le fond de la cuve et
estiment que les conséquences seraient disproportionnées en termes de coût, de délai et de
conséquences sur le modèle de réacteur EPR et sur la filière nucléaire ».
Cette opinion des deux opérateurs directement concernés et directement responsables de cette situation
de risque semble bien être acceptée sans discussion. Il est clair en tout cas qu’elle est bien de caractère
économique et de politique industrielle.
Il n’est pas certain que « l’avenir de la filière » soit conforté par l’acceptation d’une telle défaillance
sur un réacteur considéré comme un prototype et soit préférable à l’admission et la correction d’une
erreur qui pourrait avoir des conséquences graves.
De plus, la perte de confiance qui résulterait d’une telle dérogation vis-à-vis des opérateurs (celle-ci
est déjà bien ébranlée) et surtout vis-à-vis des organismes des organismes de contrôle de la sûreté
comme des responsables politiques est sans doute plus grave que les considérations de pouvoir et
d’argent qui ont conduit à une telle orientation.
Nous rejoignons l’opinion de MM. Marignac et Autret exprimée dans leur avis minoritaire sur le
Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (26-27 juin
2017) présenté ci-dessous.
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret
« Les éléments fournis par Areva NP pour justifier de l’aptitude au service de la cuve, bien qu’ils
soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la
caractérisation du matériau, à l’exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des
hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone
ségrégée vis-à-vis du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport
aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.
7
Le non respect de l’exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par
sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le
caractère tardif des la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la
cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de
cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.
La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas
les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et
débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la
résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.
Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges
perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.
Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l’éventuelle mise en service de la cuve. A cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible ».
Après une dizaine d’années d’atermoiements, on aboutit au résultat que le couvercle et le fond de cuve de l’EPR de Flamanville en
construction, pièces dont la qualité de fabrication est essentielle pour la sûreté du réacteur, ne sont pas conformes et devraient, si l’on respecte la réglementation, être rejetées.
De façon opportune, en juillet puis décembre 2015, une nouvelle procédure de dérogation à l’application de la réglementation a permis de contourner l’obstacle et a conduit l’ASN à émettre un avis favorable à la mise en service de la cuve de l’EPR, sous certaines conditions elles-mêmes discutables.
La dérogation qu’implique de fait l’avis de l’ASN n’est pas acceptable, ni dans son principe, ni dans le cas de la cuve de l’EPR, ce qui me conduit à demander le retrait de cet avis.
La mise en service de la cuve de l’EPR du réacteur en construction de Flamanville, en l’état, ne doit pas être autorisée.
12/09/2017 23:09
Cuve EPR
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en consultation publique un projet d’avis relatif à
l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de cuve du réacteur EPR de
Flamanville (INB n°167).
L’élément essentiel de cet avis est sa première phrase :
« L’anomalie de la composition en carbone de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur
de Flamanville n’est pas de nature à remettre en cause la mise en service de celle-ci, sous réserve
des conditions suivantes ».
Rappelons que (Fiche pédagogique IRSN du 28 juin 2017, page 1) :
« La cuve fait partie des équipements dits « en exclusion de rupture ». Cela signifie que sa défaillance
et sa rupture ne sont pas postulées dans la démonstration de sûreté.
En conséquence, sa conception, sa fabrication et son suivi en service font l’objet de dispositions de
contrôle particulièrement exigeantes afin d’écarter le risque de rupture (règles de conception
spécifiques, procédés de fabrication et de contrôle permettant de démontrer l’obtention d’un très haut
niveau de fabrication, contrôles non destructifs renforcés en service… ».
1. COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
1.1 Une anomalie signalée récemment ?
Dans son introduction, le rapport ASN-IRSN (CODEP-DEP-2017-19368) nous dit simplement :
« Les calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont été fabriquées
en 2006 et 2007 par forgeage par l’usine Creusot Forge d’Areva NP.
Ces composant sont soumis à l’exigence de qualification technique de l’arrêté EPSN car ils
présentent un risque d’hétérogénéité de leurs caractéristiques.
Dans le cadre de cette qualification technique, Areva NP a mesuré des valeurs de résilienceiv
inférieures aux valeurs mentionnées par le point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSNv, ce qui l’a amené
en 2015 à proposer à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une démarche destinée à justifier le
caractère suffisant de la ténacité du matériau de ces composants, basée sur un programme d’essais
sur des calottes sacrificielles et les analyses de mécanique du risque de rupture brutale ».
2
Dans son communiqué de presse du 28 juin 2017, l’ASN précise qu’Areva a « mis en évidence » une
anomalie de la composition chimiquevi dans l’acier de ces équipements vitaux pour la sûreté du
réacteur à la fin de 2014. L’ASN rappelle qu’elle a rendu publique le 7 avril 2015 cette information.
On a donc le sentiment que cette affaire est relativement récente. Et on peut quand même s’interroger
sur le temps, presque dix ans, mis pour s’en apercevoir
1.2 Et pourtant…
• Dès 2005, l’ASNvii (BCCNviii) avait alerté EDF sur le fait que l’usine Creusot Forge connaissait de
sérieux problèmes de qualité. C’était avant la fabrication de la cuve de l’EPR :
« Dans le cadre de sa mission de contrôle de la fabrication des équipements sous pression
nucléaires, le BCCN a récemment constaté de nombreux écarts concernant le forgeron Creusot
Forge » et annonçait une inspection de Creusot Forge.
• Le rapport de février 2017 du HCTISNx permet de mieux connaître le déroulement des
choses partir de 2006 :
« Au cours de l’été 2006, l’ASN (BCCN) a posé un certain nombre de questions relatives aux
approvisionnements anticipés de la cuve de FA3xi, dont une sur la manière d’apporter la preuve de
l’homogénéité des propriétés mécaniques des calottes (lettre du 21 août).
Il a été répondu (lettre AREVA du 27 novembre) que ceci ferait l’objet des dossiers de Qualification
Technique, dont le contenu allait se discuter dans les semaines à venir, dans le cadre de la définition
des modalités d’application de l’EPSN ».
Il y avait donc déjà anguille sous roche…
« AREVA a produit plusieurs versions des Synthèses de Qualification technique des calottes. En ce qui
concerne la zone externe centrale, elles estimaient qu’après usinage, seules des ségrégations
résiduelles demeureraient, assurant des propriétés mécaniques conformes ».
• Le temps passe, « AREVA estimant que les exigences seraient satisfaites ». Il paraît cependant
nécessaire de recourir à des mesures expérimentales sur une pièce sacrificielle. Ce n’est qu’en
septembre 2014 que ces mesures expérimentales sur la carotte d’une pièce initialement prévue
pour un (possible) réacteur aux Etats-Unis ces mesures mettent en évidence les anomalies.
• Afin de bien préciser les responsabilités premières, le même rapport du HCTISN nous apprend
qu’AREVA a prélevé et analysé en 2007 plusieurs copeaux de matière sur les deux faces de
chacun des flans forgés (disques plats avant mise en forme) à l’origine des deux calottes
(couvercle et fond de la cuve de FA3) : "Sur le côté tête, les deux prélèvement effectués sur la
calotte supérieure ont donné des valeurs de concentration de carbone élevées (0,265% et 0,277%)
qui auraient pu amener à s’interroger dès 2007 sur la présence de ségrégations majeures
positives. Ces valeurs apparaissent en 2007 dans la version B du dossier de synthèse de la
qualification M140 en référence (23) mais le procès-verbal d’essais annexé (page 117/140)
indique que les résultats sont conformes ».
3
• De nouveau, en 2013, des tests supplémentaires réalisés en 2013 avaient donné des résultats
avoisinant les 45 J (pour la résilience) au lieu des 60J prévus par la réglementation. Le rapport du
HCTISN précise que ni l’ASN, ni EDF n’avaient été prévenus de ces mauvais résultats.
• Enfin, le rapport CODEP déjà cité nous dit en page 19 :
«Fin 2014, Areva NP a informé l’ASN de résultats d‘essais de résilience plus faibles qu’attendu. Les
essais ont été réalisés dans le cadre de la qualification technique, sur des éprouvettes prélevées sur
une calotte destinée initialement à un projet de réacteur EPR aux Etats-Unisxii, dénommée calotte
supérieure UA, a priori représentative de celles destinées à la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
Les valeurs mesurées à 0° C sur deux séries de trois éprouvettes présentaient une valeur minimale de
36 J (Joule) et une valeur moyenne de 52 J ne permettant pas d’atteindre la qualité alors attendue par
Areva NP. Ces valeurs sont également inférieures à la valeur de résilience de 60 J mentionnée au
point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSN en référence (3)xiii ».
Il faudra donc attendre avril 2015 pour que l’ASN rende publique l’information sur la non
conformité des calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
1.3 Le jugement de l’Autorité de Sûreté tombe :
Dans sa lettre du 14 décembre 2015xiv au président d’Areva, le président de l’ASN écrit :
« Je considère que le dossier de qualification technique que vous avez présenté pour les calottes du
fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux
ségrégations majeures positives résiduelles, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et
ses conséquences mal quantifiées.
Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez
pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de
l’EPR ».
La sanction est tombée. Dans ces conditions, la mise en service de la cuve de l’EPR ne peut pas
être autorisée.
Mais, dans la même lettre, le président de l’ASN propose une voie détournée que nous allons
examiner au chapitre suivant :
« Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de
l’environnement ».
1.4 Sur le couvercle de cuve
Un paragraphe étonnant apparaît dans la lettre du 14 décembre 2015 :
« Je note que vous envisagez de poursuivre les opérations de fabrication sur le couvercle (épreuve
hydraulique, soudage des fermetures d’adaptateurs d’instrumentation, expédition sur site, habillage,
calorifugeage… ) sans attendre les résultats des essais qui seront réalisés sur les calottes
sacrificielles ».
4
Surprenant en effet quand on sait que la cuve a été installée dans le réacteur en janvier 2014. Cela
signifie par conséquent que la cuve installée à cette date possédait un couvercle « factice » qui n’était
pas le couvercle prévu. En effet, on apprend par ailleurs que le « vrai » couvercle n’a été livré sur le
site de Flamanville que le 16 février 2016 et a été installé ensuite, alors que les défauts de cette pièce
étaient prouvés et que la qualification technique n’était pas acceptée.
1.5 Et, pendant ce temps là, EDF fait comme si de rien n’était
EDF a évidemment été parfaitement au fait de ces évolutions depuis le début puisqu’il est le client
d’Areva pour la fourniture de la cuve du réacteur.
Malgré tous ces avertissements, la cuve du réacteur est livrée sur le site de Flamanville en octobre
2013 et installée dans le bâtiment réacteur en janvier 2014, tandis que le dôme du bâtiment réacteur a
été installé en juillet 2013.
A toutes les interrogations sur les anomalies de pièces de la cuve, EDF répond qu’il n’y a pas de
problème, qu’il n’y a pas de « Plan B » et que le démarrage est prévu pour 2016 (date reportée depuis
à 2018). Et, comme nous venons de le voir, EDF a installé le couvercle de cuve « défaillant » en
février 2016.
2. UNE PROCEDURE DEROGATOIRE INACCEPTABLE
2.1 Une nouvelle procédure bien opportune
Pourquoi un tel excès de confiance de la part d’Areva et surtout d’EDF qui est, après tout, le premier
responsable de la sûreté de ses réacteurs et qui a réussi à créer un « fait accompli » en installant la
cuve de l’EPR alors que la qualification technique n’était pas reconnue ?
Cela parce que, très opportunément, un décret du 1er juillet 2015xv et son arrêté d’application du 30
décembre 2015xvi relatif aux équipements sous pression nucléaires, dont font partie les cuves des
réacteurs, fait bénéficier d’un régime dérogatoire l’application des règles de conformité des
équipements sous pression nucléaires.
On lit en effet dans l’article 9 de cet arrêté :
« En application de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement, en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou
limités, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, par décision prise après avis de la Commission centrale
des appareils à pression, autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un
équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des
exigences des articles L.557-4 et L.557-5 du code de l’environnement, du chapitre VII du titre V de la
partie réglementaire du code de l’environnement et du présent arrêté ».
5
La cuve de l’EPR se trouve dans cette situation et l’avis de l’ASN soumis à la consultation constitue
de fait une réponse anticipée à la demande de dérogation que ne manquerons pas de faire EDF et
Areva (ou EDF seul en fonction de l’évolution du montage industriel d’absorption par EDF d’Areva
NP).
Il est difficile de ne pas voir dans la publication de ce décret, signé par le premier ministre et les
ministres concernées, et de son arrêté d’application, l’invention d’une procédure ad hoc pour éviter
des difficultés à EDF et Areva.
2.2 Une telle procédure de dérogation est inacceptable à plusieurs titres
a) Dans son principe, cette procédure dérogatoire est dangereuse car elle crée un précédent que les
exploitants et les fournisseurs d’équipements ne manqueront pas d’utiliser, et cela d’autant plus
facilement que les conditions laissent une large part à l’arbitraire : « … en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée… ».
On peut d’ailleurs sur ce point s’interroger sur la légitimité institutionnelle de l’Autorité de sûreté
nucléaire à porter un jugement sur un critère (la difficulté particulière) qui ne relèverait pas de la
sûreté nucléaire, ce qui serait très probablement le cas le plus fréquent.
Ce texte est d’autre part très imprécis sur les conditions de son application : le demandeur doit assurer
notamment que les risques sont suffisamment « prévenus ou limités », ce qui laisse une très large
marge d’appréciation.
On imagine très bien que d’autres secteurs industriels pourraient à leur tour obtenir une telle
procédure, avec les dégâts et les risques qu’une telle décision entraînerait.
b) Dans le cas du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR de Flamanville, une telle dérogation n’est
pas acceptable car elle porte sur deux éléments de la cuve du réacteur, dont la rupture pourrait
provoquer un accident grave, voire majeur (rupture qui, on l’a vu, est exclue des études de sûreté). Le
risque de rupture brutale de la cuve, accident considéré « par définition » comme impossible
(exclusion de rupture) est bien analysé dans le document CODEP déjà cité. Le risque n’est donc pas a
priori limité et par conséquent la demande de dérogation devrait être refusée.
Cette question du risque est d’ailleurs mise en évidence par l’une des conditions formulées dans l’avis
de l’ASN : « L’utilisation du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ne pourra être
autorisée au-delà du 31 décembre 2024 ».
On ne saurait mieux admettre que cette pièce est défaillante puisqu’il va falloir la remplacer à court
terme. C’est reconnaître que le réacteur EPR, s’il démarre avant 2024, fonctionnerait pendant plusieurs
années en état de sûreté dégradé, ce qui n’est pas acceptable.
6
c) Toujours dans le cas des deux calottes de la cuve de l’EPR, quelle est la « difficulté particulière »
qui conduit à la demande de dérogation ?
C’est le fait que l’exploitant EDF a créé une situation considérée comme irréversible en acceptant et
installant la cuve alors que la défaillance de deux de ses éléments était connue. Et que, évidemment, il
serait très onéreux et cause de retard dans le démarrage de l’EPR de réaliser le remplacement des
éléments défaillants.
La « difficulté particulière » est d’ordre économique et industriel et largement due au comportement
des deux grands opérateurs concernés, Areva et EDF.
D’ailleurs, ASN et IRSN confirment ce constat dans l’introduction du rapport CODEP déjà citéxvii :
« Areva NP estime que l’approvisionnement d’un nouveau couvercle et le remplacement de l’actuel,
qui est une opération qui a déjà été réalisée sur plusieurs réacteurs, nécessite au moins 75 mois.
Areva NP et EDF ont également étudié la possibilité de remettre en conformité le fond de la cuve et
estiment que les conséquences seraient disproportionnées en termes de coût, de délai et de
conséquences sur le modèle de réacteur EPR et sur la filière nucléaire ».
Cette opinion des deux opérateurs directement concernés et directement responsables de cette situation
de risque semble bien être acceptée sans discussion. Il est clair en tout cas qu’elle est bien de caractère
économique et de politique industrielle.
Il n’est pas certain que « l’avenir de la filière » soit conforté par l’acceptation d’une telle défaillance
sur un réacteur considéré comme un prototype et soit préférable à l’admission et la correction d’une
erreur qui pourrait avoir des conséquences graves.
De plus, la perte de confiance qui résulterait d’une telle dérogation vis-à-vis des opérateurs (celle-ci
est déjà bien ébranlée) et surtout vis-à-vis des organismes des organismes de contrôle de la sûreté
comme des responsables politiques est sans doute plus grave que les considérations de pouvoir et
d’argent qui ont conduit à une telle orientation.
Nous rejoignons l’opinion de MM. Marignac et Autret exprimée dans leur avis minoritaire sur le
Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (26-27 juin
2017) présenté ci-dessous.
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret
« Les éléments fournis par Areva NP pour justifier de l’aptitude au service de la cuve, bien qu’ils
soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la
caractérisation du matériau, à l’exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des
hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone
ségrégée vis-à-vis du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport
aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.
7
Le non respect de l’exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par
sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le
caractère tardif des la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la
cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de
cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.
La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas
les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et
débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la
résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.
Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges
perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.
Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l’éventuelle mise en service de la cuve. A cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible ».
Après une dizaine d’années d’atermoiements, on aboutit au résultat que le couvercle et le fond de cuve de l’EPR de Flamanville en
construction, pièces dont la qualité de fabrication est essentielle pour la sûreté du réacteur, ne sont pas conformes et devraient, si l’on respecte la réglementation, être rejetées.
De façon opportune, en juillet puis décembre 2015, une nouvelle procédure de dérogation à l’application de la réglementation a permis de contourner l’obstacle et a conduit l’ASN à émettre un avis favorable à la mise en service de la cuve de l’EPR, sous certaines conditions elles-mêmes discutables.
La dérogation qu’implique de fait l’avis de l’ASN n’est pas acceptable, ni dans son principe, ni dans le cas de la cuve de l’EPR, ce qui me conduit à demander le retrait de cet avis.
La mise en service de la cuve de l’EPR du réacteur en construction de Flamanville, en l’état, ne doit pas être autorisée.
12/09/2017 23:09
Anomalies cuve et couvercle EPR de Flamanvile
J'ai le regret de vous dire que
1 - cette consultation publique concerne ceux qui paieront la note en cas de sinistre, c'est à dire :
- selon le vent et les courants, tous les gens et animaux à 3000 km à la ronde.
- les générations à venir,
- la nature et le climat, qui ne cessent de donner des signes d'aggravation,
2- qu'ayant une portée environnementale et éthique, elle devrait être organisée en amont des décisions techniques.
3- Je trouve inadmissible qu'on ose mettre en service des éléments vitaux non conformes aux spécifications techniques, d'autant que leur remplacement, couvercle ou cuve, sur l'exemple de Paluel, ne saura être fait, pour raisons techniques ou budgétaires, et conduira à la production de déchets radioactifs, qui posent eux même un problème éthique et environnemental.
Dans la perspective inéluctable du réchauffement climatique,
> pour éviter l'aggravation et l'irréversibilité des évènements météorologiques cataclysmiques à venir pendant le temps nécessaire à l'arrêt, au démantèlement des installations, au confinement et au stockage des déchets,
> pour arrêter cette lâche fuite écocide, climaticide, économiquement suicidaire, dans cette impasse technique,
=> je demande un programme de sortie courageuse et ambitieuse du nucléaire et l'orientation des fonds à la transition énergétique.
12/09/2017 23:09
Cuve EPR
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en consultation publique un projet d’avis relatif à
l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de cuve du réacteur EPR de
Flamanville (INB n°167).
L’élément essentiel de cet avis est sa première phrase :
« L’anomalie de la composition en carbone de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur
de Flamanville n’est pas de nature à remettre en cause la mise en service de celle-ci, sous réserve
des conditions suivantes ».
Rappelons que (Fiche pédagogique IRSN du 28 juin 2017, page 1) :
« La cuve fait partie des équipements dits « en exclusion de rupture ». Cela signifie que sa défaillance
et sa rupture ne sont pas postulées dans la démonstration de sûreté.
En conséquence, sa conception, sa fabrication et son suivi en service font l’objet de dispositions de
contrôle particulièrement exigeantes afin d’écarter le risque de rupture (règles de conception
spécifiques, procédés de fabrication et de contrôle permettant de démontrer l’obtention d’un très haut
niveau de fabrication, contrôles non destructifs renforcés en service… ».
1. COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
1.1 Une anomalie signalée récemment ?
Dans son introduction, le rapport ASN-IRSN (CODEP-DEP-2017-19368) nous dit simplement :
« Les calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont été fabriquées
en 2006 et 2007 par forgeage par l’usine Creusot Forge d’Areva NP.
Ces composant sont soumis à l’exigence de qualification technique de l’arrêté EPSN car ils
présentent un risque d’hétérogénéité de leurs caractéristiques.
Dans le cadre de cette qualification technique, Areva NP a mesuré des valeurs de résilienceiv
inférieures aux valeurs mentionnées par le point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSNv, ce qui l’a amené
en 2015 à proposer à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une démarche destinée à justifier le
caractère suffisant de la ténacité du matériau de ces composants, basée sur un programme d’essais
sur des calottes sacrificielles et les analyses de mécanique du risque de rupture brutale ».
2
Dans son communiqué de presse du 28 juin 2017, l’ASN précise qu’Areva a « mis en évidence » une
anomalie de la composition chimiquevi dans l’acier de ces équipements vitaux pour la sûreté du
réacteur à la fin de 2014. L’ASN rappelle qu’elle a rendu publique le 7 avril 2015 cette information.
On a donc le sentiment que cette affaire est relativement récente. Et on peut quand même s’interroger
sur le temps, presque dix ans, mis pour s’en apercevoir
1.2 Et pourtant…
• Dès 2005, l’ASNvii (BCCNviii) avait alerté EDF sur le fait que l’usine Creusot Forge connaissait de
sérieux problèmes de qualité. C’était avant la fabrication de la cuve de l’EPR :
« Dans le cadre de sa mission de contrôle de la fabrication des équipements sous pression
nucléaires, le BCCN a récemment constaté de nombreux écarts concernant le forgeron Creusot
Forge » et annonçait une inspection de Creusot Forge.
• Le rapport de février 2017 du HCTISNx permet de mieux connaître le déroulement des
choses partir de 2006 :
« Au cours de l’été 2006, l’ASN (BCCN) a posé un certain nombre de questions relatives aux
approvisionnements anticipés de la cuve de FA3xi, dont une sur la manière d’apporter la preuve de
l’homogénéité des propriétés mécaniques des calottes (lettre du 21 août).
Il a été répondu (lettre AREVA du 27 novembre) que ceci ferait l’objet des dossiers de Qualification
Technique, dont le contenu allait se discuter dans les semaines à venir, dans le cadre de la définition
des modalités d’application de l’EPSN ».
Il y avait donc déjà anguille sous roche…
« AREVA a produit plusieurs versions des Synthèses de Qualification technique des calottes. En ce qui
concerne la zone externe centrale, elles estimaient qu’après usinage, seules des ségrégations
résiduelles demeureraient, assurant des propriétés mécaniques conformes ».
• Le temps passe, « AREVA estimant que les exigences seraient satisfaites ». Il paraît cependant
nécessaire de recourir à des mesures expérimentales sur une pièce sacrificielle. Ce n’est qu’en
septembre 2014 que ces mesures expérimentales sur la carotte d’une pièce initialement prévue
pour un (possible) réacteur aux Etats-Unis ces mesures mettent en évidence les anomalies.
• Afin de bien préciser les responsabilités premières, le même rapport du HCTISN nous apprend
qu’AREVA a prélevé et analysé en 2007 plusieurs copeaux de matière sur les deux faces de
chacun des flans forgés (disques plats avant mise en forme) à l’origine des deux calottes
(couvercle et fond de la cuve de FA3) : "Sur le côté tête, les deux prélèvement effectués sur la
calotte supérieure ont donné des valeurs de concentration de carbone élevées (0,265% et 0,277%)
qui auraient pu amener à s’interroger dès 2007 sur la présence de ségrégations majeures
positives. Ces valeurs apparaissent en 2007 dans la version B du dossier de synthèse de la
qualification M140 en référence (23) mais le procès-verbal d’essais annexé (page 117/140)
indique que les résultats sont conformes ».
3
• De nouveau, en 2013, des tests supplémentaires réalisés en 2013 avaient donné des résultats
avoisinant les 45 J (pour la résilience) au lieu des 60J prévus par la réglementation. Le rapport du
HCTISN précise que ni l’ASN, ni EDF n’avaient été prévenus de ces mauvais résultats.
• Enfin, le rapport CODEP déjà cité nous dit en page 19 :
«Fin 2014, Areva NP a informé l’ASN de résultats d‘essais de résilience plus faibles qu’attendu. Les
essais ont été réalisés dans le cadre de la qualification technique, sur des éprouvettes prélevées sur
une calotte destinée initialement à un projet de réacteur EPR aux Etats-Unisxii, dénommée calotte
supérieure UA, a priori représentative de celles destinées à la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
Les valeurs mesurées à 0° C sur deux séries de trois éprouvettes présentaient une valeur minimale de
36 J (Joule) et une valeur moyenne de 52 J ne permettant pas d’atteindre la qualité alors attendue par
Areva NP. Ces valeurs sont également inférieures à la valeur de résilience de 60 J mentionnée au
point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSN en référence (3)xiii ».
Il faudra donc attendre avril 2015 pour que l’ASN rende publique l’information sur la non
conformité des calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
1.3 Le jugement de l’Autorité de Sûreté tombe :
Dans sa lettre du 14 décembre 2015xiv au président d’Areva, le président de l’ASN écrit :
« Je considère que le dossier de qualification technique que vous avez présenté pour les calottes du
fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux
ségrégations majeures positives résiduelles, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et
ses conséquences mal quantifiées.
Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez
pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de
l’EPR ».
La sanction est tombée. Dans ces conditions, la mise en service de la cuve de l’EPR ne peut pas
être autorisée.
Mais, dans la même lettre, le président de l’ASN propose une voie détournée que nous allons
examiner au chapitre suivant :
« Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de
l’environnement ».
1.4 Sur le couvercle de cuve
Un paragraphe étonnant apparaît dans la lettre du 14 décembre 2015 :
« Je note que vous envisagez de poursuivre les opérations de fabrication sur le couvercle (épreuve
hydraulique, soudage des fermetures d’adaptateurs d’instrumentation, expédition sur site, habillage,
calorifugeage… ) sans attendre les résultats des essais qui seront réalisés sur les calottes
sacrificielles ».
4
Surprenant en effet quand on sait que la cuve a été installée dans le réacteur en janvier 2014. Cela
signifie par conséquent que la cuve installée à cette date possédait un couvercle « factice » qui n’était
pas le couvercle prévu. En effet, on apprend par ailleurs que le « vrai » couvercle n’a été livré sur le
site de Flamanville que le 16 février 2016 et a été installé ensuite, alors que les défauts de cette pièce
étaient prouvés et que la qualification technique n’était pas acceptée.
1.5 Et, pendant ce temps là, EDF fait comme si de rien n’était
EDF a évidemment été parfaitement au fait de ces évolutions depuis le début puisqu’il est le client
d’Areva pour la fourniture de la cuve du réacteur.
Malgré tous ces avertissements, la cuve du réacteur est livrée sur le site de Flamanville en octobre
2013 et installée dans le bâtiment réacteur en janvier 2014, tandis que le dôme du bâtiment réacteur a
été installé en juillet 2013.
A toutes les interrogations sur les anomalies de pièces de la cuve, EDF répond qu’il n’y a pas de
problème, qu’il n’y a pas de « Plan B » et que le démarrage est prévu pour 2016 (date reportée depuis
à 2018). Et, comme nous venons de le voir, EDF a installé le couvercle de cuve « défaillant » en
février 2016.
2. UNE PROCEDURE DEROGATOIRE INACCEPTABLE
2.1 Une nouvelle procédure bien opportune
Pourquoi un tel excès de confiance de la part d’Areva et surtout d’EDF qui est, après tout, le premier
responsable de la sûreté de ses réacteurs et qui a réussi à créer un « fait accompli » en installant la
cuve de l’EPR alors que la qualification technique n’était pas reconnue ?
Cela parce que, très opportunément, un décret du 1er juillet 2015xv et son arrêté d’application du 30
décembre 2015xvi relatif aux équipements sous pression nucléaires, dont font partie les cuves des
réacteurs, fait bénéficier d’un régime dérogatoire l’application des règles de conformité des
équipements sous pression nucléaires.
On lit en effet dans l’article 9 de cet arrêté :
« En application de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement, en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou
limités, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, par décision prise après avis de la Commission centrale
des appareils à pression, autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un
équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des
exigences des articles L.557-4 et L.557-5 du code de l’environnement, du chapitre VII du titre V de la
partie réglementaire du code de l’environnement et du présent arrêté ».
5
La cuve de l’EPR se trouve dans cette situation et l’avis de l’ASN soumis à la consultation constitue
de fait une réponse anticipée à la demande de dérogation que ne manquerons pas de faire EDF et
Areva (ou EDF seul en fonction de l’évolution du montage industriel d’absorption par EDF d’Areva
NP).
Il est difficile de ne pas voir dans la publication de ce décret, signé par le premier ministre et les
ministres concernées, et de son arrêté d’application, l’invention d’une procédure ad hoc pour éviter
des difficultés à EDF et Areva.
2.2 Une telle procédure de dérogation est inacceptable à plusieurs titres
a) Dans son principe, cette procédure dérogatoire est dangereuse car elle crée un précédent que les
exploitants et les fournisseurs d’équipements ne manqueront pas d’utiliser, et cela d’autant plus
facilement que les conditions laissent une large part à l’arbitraire : « … en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée… ».
On peut d’ailleurs sur ce point s’interroger sur la légitimité institutionnelle de l’Autorité de sûreté
nucléaire à porter un jugement sur un critère (la difficulté particulière) qui ne relèverait pas de la
sûreté nucléaire, ce qui serait très probablement le cas le plus fréquent.
Ce texte est d’autre part très imprécis sur les conditions de son application : le demandeur doit assurer
notamment que les risques sont suffisamment « prévenus ou limités », ce qui laisse une très large
marge d’appréciation.
On imagine très bien que d’autres secteurs industriels pourraient à leur tour obtenir une telle
procédure, avec les dégâts et les risques qu’une telle décision entraînerait.
b) Dans le cas du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR de Flamanville, une telle dérogation n’est
pas acceptable car elle porte sur deux éléments de la cuve du réacteur, dont la rupture pourrait
provoquer un accident grave, voire majeur (rupture qui, on l’a vu, est exclue des études de sûreté). Le
risque de rupture brutale de la cuve, accident considéré « par définition » comme impossible
(exclusion de rupture) est bien analysé dans le document CODEP déjà cité. Le risque n’est donc pas a
priori limité et par conséquent la demande de dérogation devrait être refusée.
Cette question du risque est d’ailleurs mise en évidence par l’une des conditions formulées dans l’avis
de l’ASN : « L’utilisation du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ne pourra être
autorisée au-delà du 31 décembre 2024 ».
On ne saurait mieux admettre que cette pièce est défaillante puisqu’il va falloir la remplacer à court
terme. C’est reconnaître que le réacteur EPR, s’il démarre avant 2024, fonctionnerait pendant plusieurs
années en état de sûreté dégradé, ce qui n’est pas acceptable.
6
c) Toujours dans le cas des deux calottes de la cuve de l’EPR, quelle est la « difficulté particulière »
qui conduit à la demande de dérogation ?
C’est le fait que l’exploitant EDF a créé une situation considérée comme irréversible en acceptant et
installant la cuve alors que la défaillance de deux de ses éléments était connue. Et que, évidemment, il
serait très onéreux et cause de retard dans le démarrage de l’EPR de réaliser le remplacement des
éléments défaillants.
La « difficulté particulière » est d’ordre économique et industriel et largement due au comportement
des deux grands opérateurs concernés, Areva et EDF.
D’ailleurs, ASN et IRSN confirment ce constat dans l’introduction du rapport CODEP déjà citéxvii :
« Areva NP estime que l’approvisionnement d’un nouveau couvercle et le remplacement de l’actuel,
qui est une opération qui a déjà été réalisée sur plusieurs réacteurs, nécessite au moins 75 mois.
Areva NP et EDF ont également étudié la possibilité de remettre en conformité le fond de la cuve et
estiment que les conséquences seraient disproportionnées en termes de coût, de délai et de
conséquences sur le modèle de réacteur EPR et sur la filière nucléaire ».
Cette opinion des deux opérateurs directement concernés et directement responsables de cette situation
de risque semble bien être acceptée sans discussion. Il est clair en tout cas qu’elle est bien de caractère
économique et de politique industrielle.
Il n’est pas certain que « l’avenir de la filière » soit conforté par l’acceptation d’une telle défaillance
sur un réacteur considéré comme un prototype et soit préférable à l’admission et la correction d’une
erreur qui pourrait avoir des conséquences graves.
De plus, la perte de confiance qui résulterait d’une telle dérogation vis-à-vis des opérateurs (celle-ci
est déjà bien ébranlée) et surtout vis-à-vis des organismes des organismes de contrôle de la sûreté
comme des responsables politiques est sans doute plus grave que les considérations de pouvoir et
d’argent qui ont conduit à une telle orientation.
Nous rejoignons l’opinion de MM. Marignac et Autret exprimée dans leur avis minoritaire sur le
Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (26-27 juin
2017) présenté ci-dessous.
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret
« Les éléments fournis par Areva NP pour justifier de l’aptitude au service de la cuve, bien qu’ils
soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la
caractérisation du matériau, à l’exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des
hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone
ségrégée vis-à-vis du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport
aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.
7
Le non respect de l’exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par
sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le
caractère tardif des la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la
cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de
cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.
La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas
les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et
débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la
résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.
Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges
perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.
Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l’éventuelle mise en service de la cuve. A cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible ».
Après une dizaine d’années d’atermoiements, on aboutit au résultat que le couvercle et le fond de cuve de l’EPR de Flamanville en
construction, pièces dont la qualité de fabrication est essentielle pour la sûreté du réacteur, ne sont pas conformes et devraient, si l’on respecte la réglementation, être rejetées.
De façon opportune, en juillet puis décembre 2015, une nouvelle procédure de dérogation à l’application de la réglementation a permis de contourner l’obstacle et a conduit l’ASN à émettre un avis favorable à la mise en service de la cuve de l’EPR, sous certaines conditions elles-mêmes discutables.
La dérogation qu’implique de fait l’avis de l’ASN n’est pas acceptable, ni dans son principe, ni dans le cas de la cuve de l’EPR, ce qui me conduit à demander le retrait de cet avis.
La mise en service de la cuve de l’EPR du réacteur en construction de Flamanville, en l’état, ne doit pas être autorisée.
12/09/2017 23:09
Cuve EPR
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en consultation publique un projet d’avis relatif à
l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de cuve du réacteur EPR de
Flamanville (INB n°167).
L’élément essentiel de cet avis est sa première phrase :
« L’anomalie de la composition en carbone de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur
de Flamanville n’est pas de nature à remettre en cause la mise en service de celle-ci, sous réserve
des conditions suivantes ».
Rappelons que (Fiche pédagogique IRSN du 28 juin 2017, page 1) :
« La cuve fait partie des équipements dits « en exclusion de rupture ». Cela signifie que sa défaillance
et sa rupture ne sont pas postulées dans la démonstration de sûreté.
En conséquence, sa conception, sa fabrication et son suivi en service font l’objet de dispositions de
contrôle particulièrement exigeantes afin d’écarter le risque de rupture (règles de conception
spécifiques, procédés de fabrication et de contrôle permettant de démontrer l’obtention d’un très haut
niveau de fabrication, contrôles non destructifs renforcés en service… ».
1. COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
1.1 Une anomalie signalée récemment ?
Dans son introduction, le rapport ASN-IRSN (CODEP-DEP-2017-19368) nous dit simplement :
« Les calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont été fabriquées
en 2006 et 2007 par forgeage par l’usine Creusot Forge d’Areva NP.
Ces composant sont soumis à l’exigence de qualification technique de l’arrêté EPSN car ils
présentent un risque d’hétérogénéité de leurs caractéristiques.
Dans le cadre de cette qualification technique, Areva NP a mesuré des valeurs de résilienceiv
inférieures aux valeurs mentionnées par le point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSNv, ce qui l’a amené
en 2015 à proposer à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une démarche destinée à justifier le
caractère suffisant de la ténacité du matériau de ces composants, basée sur un programme d’essais
sur des calottes sacrificielles et les analyses de mécanique du risque de rupture brutale ».
2
Dans son communiqué de presse du 28 juin 2017, l’ASN précise qu’Areva a « mis en évidence » une
anomalie de la composition chimiquevi dans l’acier de ces équipements vitaux pour la sûreté du
réacteur à la fin de 2014. L’ASN rappelle qu’elle a rendu publique le 7 avril 2015 cette information.
On a donc le sentiment que cette affaire est relativement récente. Et on peut quand même s’interroger
sur le temps, presque dix ans, mis pour s’en apercevoir
1.2 Et pourtant…
• Dès 2005, l’ASNvii (BCCNviii) avait alerté EDF sur le fait que l’usine Creusot Forge connaissait de
sérieux problèmes de qualité. C’était avant la fabrication de la cuve de l’EPR :
« Dans le cadre de sa mission de contrôle de la fabrication des équipements sous pression
nucléaires, le BCCN a récemment constaté de nombreux écarts concernant le forgeron Creusot
Forge » et annonçait une inspection de Creusot Forge.
• Le rapport de février 2017 du HCTISNx permet de mieux connaître le déroulement des
choses partir de 2006 :
« Au cours de l’été 2006, l’ASN (BCCN) a posé un certain nombre de questions relatives aux
approvisionnements anticipés de la cuve de FA3xi, dont une sur la manière d’apporter la preuve de
l’homogénéité des propriétés mécaniques des calottes (lettre du 21 août).
Il a été répondu (lettre AREVA du 27 novembre) que ceci ferait l’objet des dossiers de Qualification
Technique, dont le contenu allait se discuter dans les semaines à venir, dans le cadre de la définition
des modalités d’application de l’EPSN ».
Il y avait donc déjà anguille sous roche…
« AREVA a produit plusieurs versions des Synthèses de Qualification technique des calottes. En ce qui
concerne la zone externe centrale, elles estimaient qu’après usinage, seules des ségrégations
résiduelles demeureraient, assurant des propriétés mécaniques conformes ».
• Le temps passe, « AREVA estimant que les exigences seraient satisfaites ». Il paraît cependant
nécessaire de recourir à des mesures expérimentales sur une pièce sacrificielle. Ce n’est qu’en
septembre 2014 que ces mesures expérimentales sur la carotte d’une pièce initialement prévue
pour un (possible) réacteur aux Etats-Unis ces mesures mettent en évidence les anomalies.
• Afin de bien préciser les responsabilités premières, le même rapport du HCTISN nous apprend
qu’AREVA a prélevé et analysé en 2007 plusieurs copeaux de matière sur les deux faces de
chacun des flans forgés (disques plats avant mise en forme) à l’origine des deux calottes
(couvercle et fond de la cuve de FA3) : "Sur le côté tête, les deux prélèvement effectués sur la
calotte supérieure ont donné des valeurs de concentration de carbone élevées (0,265% et 0,277%)
qui auraient pu amener à s’interroger dès 2007 sur la présence de ségrégations majeures
positives. Ces valeurs apparaissent en 2007 dans la version B du dossier de synthèse de la
qualification M140 en référence (23) mais le procès-verbal d’essais annexé (page 117/140)
indique que les résultats sont conformes ».
3
• De nouveau, en 2013, des tests supplémentaires réalisés en 2013 avaient donné des résultats
avoisinant les 45 J (pour la résilience) au lieu des 60J prévus par la réglementation. Le rapport du
HCTISN précise que ni l’ASN, ni EDF n’avaient été prévenus de ces mauvais résultats.
• Enfin, le rapport CODEP déjà cité nous dit en page 19 :
«Fin 2014, Areva NP a informé l’ASN de résultats d‘essais de résilience plus faibles qu’attendu. Les
essais ont été réalisés dans le cadre de la qualification technique, sur des éprouvettes prélevées sur
une calotte destinée initialement à un projet de réacteur EPR aux Etats-Unisxii, dénommée calotte
supérieure UA, a priori représentative de celles destinées à la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
Les valeurs mesurées à 0° C sur deux séries de trois éprouvettes présentaient une valeur minimale de
36 J (Joule) et une valeur moyenne de 52 J ne permettant pas d’atteindre la qualité alors attendue par
Areva NP. Ces valeurs sont également inférieures à la valeur de résilience de 60 J mentionnée au
point 4 de l’annexe I de l’arrêté EPSN en référence (3)xiii ».
Il faudra donc attendre avril 2015 pour que l’ASN rende publique l’information sur la non
conformité des calottes du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
1.3 Le jugement de l’Autorité de Sûreté tombe :
Dans sa lettre du 14 décembre 2015xiv au président d’Areva, le président de l’ASN écrit :
« Je considère que le dossier de qualification technique que vous avez présenté pour les calottes du
fond et du couvercle de la cuve de Flamanville 3 montre que le risque d’hétérogénéité dû aux
ségrégations majeures positives résiduelles, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et
ses conséquences mal quantifiées.
Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez
pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de
l’EPR ».
La sanction est tombée. Dans ces conditions, la mise en service de la cuve de l’EPR ne peut pas
être autorisée.
Mais, dans la même lettre, le président de l’ASN propose une voie détournée que nous allons
examiner au chapitre suivant :
« Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de
l’environnement ».
1.4 Sur le couvercle de cuve
Un paragraphe étonnant apparaît dans la lettre du 14 décembre 2015 :
« Je note que vous envisagez de poursuivre les opérations de fabrication sur le couvercle (épreuve
hydraulique, soudage des fermetures d’adaptateurs d’instrumentation, expédition sur site, habillage,
calorifugeage… ) sans attendre les résultats des essais qui seront réalisés sur les calottes
sacrificielles ».
4
Surprenant en effet quand on sait que la cuve a été installée dans le réacteur en janvier 2014. Cela
signifie par conséquent que la cuve installée à cette date possédait un couvercle « factice » qui n’était
pas le couvercle prévu. En effet, on apprend par ailleurs que le « vrai » couvercle n’a été livré sur le
site de Flamanville que le 16 février 2016 et a été installé ensuite, alors que les défauts de cette pièce
étaient prouvés et que la qualification technique n’était pas acceptée.
1.5 Et, pendant ce temps là, EDF fait comme si de rien n’était
EDF a évidemment été parfaitement au fait de ces évolutions depuis le début puisqu’il est le client
d’Areva pour la fourniture de la cuve du réacteur.
Malgré tous ces avertissements, la cuve du réacteur est livrée sur le site de Flamanville en octobre
2013 et installée dans le bâtiment réacteur en janvier 2014, tandis que le dôme du bâtiment réacteur a
été installé en juillet 2013.
A toutes les interrogations sur les anomalies de pièces de la cuve, EDF répond qu’il n’y a pas de
problème, qu’il n’y a pas de « Plan B » et que le démarrage est prévu pour 2016 (date reportée depuis
à 2018). Et, comme nous venons de le voir, EDF a installé le couvercle de cuve « défaillant » en
février 2016.
2. UNE PROCEDURE DEROGATOIRE INACCEPTABLE
2.1 Une nouvelle procédure bien opportune
Pourquoi un tel excès de confiance de la part d’Areva et surtout d’EDF qui est, après tout, le premier
responsable de la sûreté de ses réacteurs et qui a réussi à créer un « fait accompli » en installant la
cuve de l’EPR alors que la qualification technique n’était pas reconnue ?
Cela parce que, très opportunément, un décret du 1er juillet 2015xv et son arrêté d’application du 30
décembre 2015xvi relatif aux équipements sous pression nucléaires, dont font partie les cuves des
réacteurs, fait bénéficier d’un régime dérogatoire l’application des règles de conformité des
équipements sous pression nucléaires.
On lit en effet dans l’article 9 de cet arrêté :
« En application de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement, en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou
limités, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, par décision prise après avis de la Commission centrale
des appareils à pression, autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un
équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des
exigences des articles L.557-4 et L.557-5 du code de l’environnement, du chapitre VII du titre V de la
partie réglementaire du code de l’environnement et du présent arrêté ».
5
La cuve de l’EPR se trouve dans cette situation et l’avis de l’ASN soumis à la consultation constitue
de fait une réponse anticipée à la demande de dérogation que ne manquerons pas de faire EDF et
Areva (ou EDF seul en fonction de l’évolution du montage industriel d’absorption par EDF d’Areva
NP).
Il est difficile de ne pas voir dans la publication de ce décret, signé par le premier ministre et les
ministres concernées, et de son arrêté d’application, l’invention d’une procédure ad hoc pour éviter
des difficultés à EDF et Areva.
2.2 Une telle procédure de dérogation est inacceptable à plusieurs titres
a) Dans son principe, cette procédure dérogatoire est dangereuse car elle crée un précédent que les
exploitants et les fournisseurs d’équipements ne manqueront pas d’utiliser, et cela d’autant plus
facilement que les conditions laissent une large part à l’arbitraire : « … en cas de difficulté particulière
et sur demande dûment justifiée… ».
On peut d’ailleurs sur ce point s’interroger sur la légitimité institutionnelle de l’Autorité de sûreté
nucléaire à porter un jugement sur un critère (la difficulté particulière) qui ne relèverait pas de la
sûreté nucléaire, ce qui serait très probablement le cas le plus fréquent.
Ce texte est d’autre part très imprécis sur les conditions de son application : le demandeur doit assurer
notamment que les risques sont suffisamment « prévenus ou limités », ce qui laisse une très large
marge d’appréciation.
On imagine très bien que d’autres secteurs industriels pourraient à leur tour obtenir une telle
procédure, avec les dégâts et les risques qu’une telle décision entraînerait.
b) Dans le cas du couvercle et du fond de la cuve de l’EPR de Flamanville, une telle dérogation n’est
pas acceptable car elle porte sur deux éléments de la cuve du réacteur, dont la rupture pourrait
provoquer un accident grave, voire majeur (rupture qui, on l’a vu, est exclue des études de sûreté). Le
risque de rupture brutale de la cuve, accident considéré « par définition » comme impossible
(exclusion de rupture) est bien analysé dans le document CODEP déjà cité. Le risque n’est donc pas a
priori limité et par conséquent la demande de dérogation devrait être refusée.
Cette question du risque est d’ailleurs mise en évidence par l’une des conditions formulées dans l’avis
de l’ASN : « L’utilisation du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ne pourra être
autorisée au-delà du 31 décembre 2024 ».
On ne saurait mieux admettre que cette pièce est défaillante puisqu’il va falloir la remplacer à court
terme. C’est reconnaître que le réacteur EPR, s’il démarre avant 2024, fonctionnerait pendant plusieurs
années en état de sûreté dégradé, ce qui n’est pas acceptable.
6
c) Toujours dans le cas des deux calottes de la cuve de l’EPR, quelle est la « difficulté particulière »
qui conduit à la demande de dérogation ?
C’est le fait que l’exploitant EDF a créé une situation considérée comme irréversible en acceptant et
installant la cuve alors que la défaillance de deux de ses éléments était connue. Et que, évidemment, il
serait très onéreux et cause de retard dans le démarrage de l’EPR de réaliser le remplacement des
éléments défaillants.
La « difficulté particulière » est d’ordre économique et industriel et largement due au comportement
des deux grands opérateurs concernés, Areva et EDF.
D’ailleurs, ASN et IRSN confirment ce constat dans l’introduction du rapport CODEP déjà citéxvii :
« Areva NP estime que l’approvisionnement d’un nouveau couvercle et le remplacement de l’actuel,
qui est une opération qui a déjà été réalisée sur plusieurs réacteurs, nécessite au moins 75 mois.
Areva NP et EDF ont également étudié la possibilité de remettre en conformité le fond de la cuve et
estiment que les conséquences seraient disproportionnées en termes de coût, de délai et de
conséquences sur le modèle de réacteur EPR et sur la filière nucléaire ».
Cette opinion des deux opérateurs directement concernés et directement responsables de cette situation
de risque semble bien être acceptée sans discussion. Il est clair en tout cas qu’elle est bien de caractère
économique et de politique industrielle.
Il n’est pas certain que « l’avenir de la filière » soit conforté par l’acceptation d’une telle défaillance
sur un réacteur considéré comme un prototype et soit préférable à l’admission et la correction d’une
erreur qui pourrait avoir des conséquences graves.
De plus, la perte de confiance qui résulterait d’une telle dérogation vis-à-vis des opérateurs (celle-ci
est déjà bien ébranlée) et surtout vis-à-vis des organismes des organismes de contrôle de la sûreté
comme des responsables politiques est sans doute plus grave que les considérations de pouvoir et
d’argent qui ont conduit à une telle orientation.
Nous rejoignons l’opinion de MM. Marignac et Autret exprimée dans leur avis minoritaire sur le
Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (26-27 juin
2017) présenté ci-dessous.
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret
« Les éléments fournis par Areva NP pour justifier de l’aptitude au service de la cuve, bien qu’ils
soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la
caractérisation du matériau, à l’exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des
hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone
ségrégée vis-à-vis du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport
aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.
7
Le non respect de l’exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par
sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le
caractère tardif des la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la
cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de
cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.
La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas
les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et
débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la
résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.
Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges
perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.
Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l’éventuelle mise en service de la cuve. A cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible ».
Après une dizaine d’années d’atermoiements, on aboutit au résultat que le couvercle et le fond de cuve de l’EPR de Flamanville en
construction, pièces dont la qualité de fabrication est essentielle pour la sûreté du réacteur, ne sont pas conformes et devraient, si l’on respecte la réglementation, être rejetées.
De façon opportune, en juillet puis décembre 2015, une nouvelle procédure de dérogation à l’application de la réglementation a permis de contourner l’obstacle et a conduit l’ASN à émettre un avis favorable à la mise en service de la cuve de l’EPR, sous certaines conditions elles-mêmes discutables.
La dérogation qu’implique de fait l’avis de l’ASN n’est pas acceptable, ni dans son principe, ni dans le cas de la cuve de l’EPR, ce qui me conduit à demander le retrait de cet avis.
La mise en service de la cuve de l’EPR du réacteur en construction de Flamanville, en l’état, ne doit pas être autorisée.
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Date de la dernière mise à jour : 09/11/2021