Pour l’ASN, l’année 2011 est à la fois celle du cinquantième anniversaire de la création du régime des installations nucléaires de base, celle du cinquième anniversaire de la création de l’ASN et, enfin, celle de la catastrophe de Fukushima.
Les installations nucléaires de base ont 50 ans.
Jean-Christophe NIEL, directeur général de l'ASN
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Dans les années 1950, le ministère de la Santé chargeait le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) de traiter les questions de radioprotection ; le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) assurait, quant à lui, le contrôle de la sûreté de ses propres installations. Les pouvoirs publics ne ressentaient aucun besoin d’établir un système de contrôle qui les impliquât directement. La notion même d’installations nucléaires – qu’on appellera par la suite « installations nucléaires de base (INB) » – présentant un risque particulier qui nécessitait un contrôle, ne s’imposait pas.
Ce fut le cas en France presque par hasard, en raison de contraintes internationales. Le Traité Euratom, signé en 1957, imposait en effet que les installations nucléaires soient soumises à un régime d’autorisation, ou tout au moins de déclaration ; d’autre part, la Convention de Paris sur l’indemnisation des dommages nucléaires, signée en 1960, imposait que soient identifiées les installations pouvant être à l’origine de tels dommages.
Pour établir le régime administratif des installations nucléaires de base, le Gouvernement choisit alors un véhicule législatif assez insolite : un projet de loi relatif à la lutte contre les pollutions atmosphériques, devenu la loi relative à la lutte contre les pollutions atmosphériques et les odeurs. Ce projet de loi, déposé par le Gouvernement en 1960, ne visait pas principalement les installations industrielles régies depuis longtemps par une loi de 1917. Il visait donc essentiellement les autres sources de pollution atmosphérique potentielle : les véhicules, les installations non industrielles comme les foyers domestiques et les sources diffuses.
Mais il se trouvait que le texte du projet gouvernemental comportait le mot radioactif : en effet, la radioactivité commençait à être reconnue comme une composante de la pollution atmosphérique ambiante, principalement du fait des essais atomiques atmosphériques auxquels se livraient les grandes puissances. Il fut donc désigné comme le support adapté pour l’introduction d’un régime administratif des installations nucléaires de base et ce, afin de satisfaire aux obligations internationales de la France.
On aurait pu penser qu’il aurait été plus simple de faire évoluer la nomenclature des installations, couvertes par la loi de 1917 sur les installations classées, en y introduisant les installations nucléaires.
Deux raisons semblent avoir conduit à refuser cette démarche :
- le champ d’application de la loi de 1917 était alors restreint aux établissements présentant un caractère industriel et commercial ; or les établissements du CEA, qui abritaient une très grande partie des installations nucléaires, ne répondaient pas à cette définition ;
- l’autre raison était liée à la très grande spécificité technique de ces installations, qui justifiait que leur contrôle soit exercé de façon centralisée et par des personnes spécialisées, alors que le principe des établissements classés était que les inspecteurs de ces établissements soient désignés au niveau départemental par chaque préfet, et soient polyvalents sur toutes les catégories d’établissements.
C’est donc dans une loi relative à la lutte contre les pollutions atmosphériques et les odeurs que furent intégrées les premières dispositions concernant les installations nucléaires. D’après le compte rendu des débats qui eurent lieu à l’Assemblée nationale et au Sénat, les élus montraient, dès cette époque, une certaine sensibilité aux problèmes de la radioactivité : le problème de la radioactivité ambiante due aux essais atomiques était souligné par plusieurs orateurs. Les interventions concernant les 2011, une année majeure pour la sûreté nucléaire 13 Paris, le 2 avril 2012 L’ANNÉE 2011 installations nucléaires étaient plus rares, toutefois un parlementaire s’est inquiété d’implantations trop proches de Paris.
Voilà comment sont nées de manière presque contingente les INB.
L’ASN a 5 ans.
En novembre 2006, le président de l’ASN, André-Claude Lacoste, indiquait que la création de l’ASN apporterait au début peu de changement, mais qu’au bout de cinq ans, nous mesurerions le chemin parcouru. Comment parler de ces cinq années, si ce n’est en les jalonnant par quelques points marquants dont le choix relève forcément d’un certain arbitraire étant donné la richesse de nos sujets :
Les leçons des accidents d’Épinal et de Toulouse
À la suite de ces accidents, l’ASN a pris des mesures en faveur de la sécurité des soins en radiothérapie. Par exemple :
- en créant, conjointement avec la Société française de radiothérapie oncologique (SFRO), l’échelle de classement des événements de radioprotection affectant des patients traités par radiothérapie ;
- en recommandant l’accroissement du nombre de radiophysiciens ;
- en suspendant l’activité de plusieurs centres de radiothérapie à la suite de dysfonctionnements importants ;
- en organisant, en 2007, à Versailles une conférence internationale «Défis et progrès dans le domaine de la radioprotection des patients » ;
- en adoptant une décision relative au management de la qualité en radiothérapie en 2008.
La réglementation des INB
La réglementation applicable aux INB est largement engagée avec le décret « procédures INB » de 2007, l’arrêté INB a été publié le 7 février 2012 et une douzaine de décisions réglementaires sont déjà bien avancées : ces travaux ont fait l’objet d’une large consultation des différentes parties prenantes. L’ASN va disposer d’un cadre de travail et d’intervention rigoureux, complet et homogène avec celui de ses collègues européens puisqu’il intègre les « niveaux de référence » de WENRA, l’association des responsables des Autorités de sûreté nucléaire des pays d’Europe de l’Ouest.
La sécurité des sources
La sécurité des sources est une nouvelle mission que l’ASN a acceptée en 2008. L’ASN s’y prépare activement. La prise en charge effective de cette mission nécessite un acte législatif : le Gouvernement a décidé de l’inscrire dans le projet de loi de ratification de l’ordonnance de codification de la loi TSN et de le déposer sur le bureau du Sénat. Il pourrait ainsi être voté dans la prochaine législature.
La transparence en matière environnementale
L’ASN a développé, avec l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et les parties prenantes, le site Internet www.mesure-radioactivite.fr rassemblant l’ensemble des mesures de radioactivité dans l’environnement effectuées par les exploitants, les institutionnels et les associations agréés. Les événements de SOCATRI, Fukushima et CENTRACO ont montré l’intérêt grandissant du public pour ces questions.
La poursuite d’exploitation des réacteurs de 900 MWe
L’ASN a rendu un premier avis générique sur la poursuite d’exploitation des réacteurs de 900 MWe au-delà de trente ans. Cette appréciation doit être complétée par une prise de position réacteur par réacteur. Cela a été le cas pour Tricastin 1 et Fessenheim 1.
Le contrôle du chantier EPR
L’ASN est fortement investie au quotidien dans le contrôle du chantier de construction de Flamanville 3. C’est une activité qu’il a fallu réapprendre après plus d’une dizaine d’années sans chantier de cette ampleur. Ce contrôle conduit à des décisions importantes telles que le décret de création de cette installation, la suspension du chantier, en particulier des activités de bétonnage, ou la prise de position commune des Autorités de sûreté britannique, finlandaise et française sur l’architecture du « contrôle-commande » du réacteur EPR.
Élaboration du PNGMDR
C’est une exigence issue de « l’autre loi de 2006 », celle sur les déchets radioactifs. L’ASN et le ministère chargé de l’écologie ont, depuis cette date, élaboré deux éditions du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs.
La construction d’un pôle européen de la sûreté nucléaire et de la radioprotection
Depuis cinq ans, l’Europe de la sûreté nucléaire et de la radioprotection s’est renforcée :
- WENRA a finalisé ses « niveaux de sûreté » de référence pour les centrales européennes en exploitation et chacun de ses mem - bres s’engage à les intégrer dans sa réglementation nationale ;
- WENRA a élaboré les objectifs de sûreté des nouveaux réacteurs;
- HERCA, l’association des responsables des Autorités compétentes en radioprotection, a vu le jour ;
- l’Union européenne s’est dotée de deux directives, sur la sûreté nucléaire et sur la gestion des déchets radioactifs et du combustible usé ;
- ENSREG, regroupant l’ensemble des Autorités de sûreté européennes et la Commission, s’est imposée comme une instance de conseil aux institutions européennes ;
- la première Conférence européenne sur la sûreté nucléaire a été organisée à Bruxelles dans un contexte post-Fukushima.
L’optimisation des doses en imagerie médicale
Les expositions liées aux examens médicaux augmentent de plus de 70 % en cinq ans.
L’ASN a organisé un séminaire sur l’imagerie médicale pour sensibiliser institutions, professionnels et fabricants à l’application plus rigoureuse des principes de radioprotection (justification des actes et optimisation des doses) et au développement de techniques alternatives au premier rang desquelles l’IRM.
Dans la continuité de ce séminaire, elle a pris plusieurs positions sur ce sujet en juillet dernier.
La démarche post-accidentelle
La doctrine post-accidentelle se précise : elle fait l’objet d’un guide, elle est testée en exercice et devrait intégrer les Plans particuliers d’intervention (PPI).
Cette démarche a pris tout son sens au moment de l’accident de Fukushima. Elle a été présentée lors du séminaire international CODIRPA, organisé les 5 et 6 mai 2011.
Venons-en à l’année 2011.
Quel contraste entre le début de l’année où l’ASN était critiquée par certains d’en faire trop en matière de sûreté, et alertait sur les risques d’apparition d’un nucléaire à deux vitesses, et la fin de l’année 2011 après l’accident de Fukushima ! L’année 2011 restera comme celle de l’accident de Fukushima.
Cet accident est un événement majeur et il marquera l’histoire du nucléaire comme ceux de Three Mile Island et de Tchernobyl : il y aura un avant et un après Fukushima.
Dés le 11 mars, l’ASN a pressenti l’ampleur que pouvait prendre cette catastrophe naturelle doublée d’une catastrophe nucléaire. Son centre de crise a été gréé le 11 mars dans l’aprèsmidi et est resté opérationnel 24 h / 24, 7 jours sur 7 jusqu’au 13 avril. Son gréement allégé s’est poursuivi bien plus longtemps.
Deux cents personnes, soit prés de la moitié de l’effectif de l’ASN, de province ou d’Ile-de-France, ont été mobilisées au centre de crise.
Des audioconférences quotidiennes avec l’IRSN, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), les Autorités de sûreté étrangères et l’Ambassade de France au Japon ont été tenues.
Pendant ce premier mois, la communication a été très intense, l’ASN a tenu dix-sept conférences de presse, publié vingt-huit communiqués de presse. Une quinzaine de personnes ont été mobilisées pour répondre aux 1200 sollicitations médiatiques. Un site Internet spécifique a été créé ; il a reçu plus de 700 000 visites. Un centre d’appel a été mis en place pour répondre aux questions du public.
En parallèle, l’ASN a engagé le processus des évaluations complémentaires de sûreté (ECS). En plus de ces ECS, l’ASN a organisé en 2011 une campagne d’inspections ciblées sur des thèmes en lien avec l’accident de Fukushima. Trente-huit inspections ont ainsi été menées sur l’ensemble des installations nucléaires jugées prioritaires, correspondant à un total de cent dix jours d’inspection.
L’ASN a aussi voulu que ce processus soit transparent et y associer la société civile. Ainsi, des membres de Commissions locales d’information (CLI) et des experts étrangers, au total cinquante personnes, ont pu participer à des inspections. Des experts étrangers et des membres du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) ont participé aux réunions des Groupes permanents d’experts qui ont rassemblé pendant trois jours en novembre plus de deux cents personnes.
L’ASN a reçu et pris en compte de nombreuses contributions des CLI, de l’ANCCLI, d’experts étrangers et d’organisations syndicales. *Eu égard au caractère exceptionnel de cette situation, l’ASN a rendu publics en temps réel les rapports des exploitants, celui de l’IRSN réalisé à sa demande et l’avis des Groupes permanents. L’ASN a publié son rapport et son avis le 3 janvier 2012.
L’ASN a travaillé avec le HCTISN qui a rendu deux avis, l’un le 3 mai sur le cahier des charges des évaluations complémentaires de sûreté, l’autre le 8 décembre sur la transparence du processus. L’investissement du HCTISN et des CLI a fondamentalement contribué à la nécessaire transparence et à l’ouverture de toute cette démarche.
Un travail considérable a été effectué en un temps très court, à la mesure de cette catastrophe.
Il doit être poursuivi à l’échelle nationale, européenne et internationale. Il doit concerner autant la sûreté des installations que la gestion de crise.
L’engagement, le professionnalisme et la disponibilité des personnels de l’ASN et de l’IRSN, et le travail considérable qu’ils ont effectué depuis le 11 mars 2011, ont permis à l’ASN de tirer les premiers enseignements de l’accident de Fukushima dont le retour d’expérience complet va se prolonger durant de nombreuses années.
Ces trois périodes - 50 ans, 5 ans, l’année dernière - nous rappellent que la sûreté nucléaire, la radioprotection et leur contrôle évoluent dans un temps long. Il est fondamental de toujours s’adapter en s’appuyant sur le retour d’expérience. Un devoir d’exigence et de vigilance s’impose en permanece.
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