Les lois post-accidentelles biélorusses
Après la chute de l'URSS, la Biélorussie, pays le plus gravement touché par la catastrophe de Tchernobyl, a joué un rôle-clé dans la structuration de la gestion des conséquences de l’accident et dans la mise en place rapide d’un dispositif législatif adapté.
La législation biélorusse, établie dès 1991, sera aussitôt reprise et adoptée, à quelques variantes près, par la Russie et l’Ukraine.
Ce cadre législatif s’appuie sur la définition de 2 niveaux de référence pour la dose efficace totale reçue par une personne pendant 70 ans. Cette conception est toujours en vigueur en Biélorussie aujourd’hui :
- au-dessous de 70 mSv (1 mSv x 70 ans) : aucune contre-mesure,
- entre 70 et 350 mSv (5 mSv x 70 ans) : contre-mesures au cas par cas,
- au-dessus de 350 mSv : contre-mesures obligatoires.
A partir de ces critères, les deux lois post-accidentelles biélorusses établissent, d'une part, un nouveau zonage du territoire et, d'autre part, des mesures de "protection sociale des citoyens".
Les lois post-accidentelles biélorusses : protection sociale des citoyens et statut des territoires contaminés
Afin de renforcer et d’améliorer la gestion de la situation post-accidentelle, le gouvernement biélorusse vote, dès sa création en 1991, deux lois-clés, encore en application aujourd’hui.
Ces lois reposent sur un nouveau concept des "conditions de vie saine pour la population", qui remplace le concept soviétique de la dose-vie de 350 mSv (5 mSv/an pendant 70 ans), abandonné en 1990.
Ce nouveau concept renforce la protection des populations et augmente fortement la superficie du territoire concerné.
Il réalise un compromis entre la norme soviétique (5 mSv/an), et le niveau de référence de 1 mSv/an recommandé par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) :
- au-dessous de 1 mSv/an : aucune action n'est prévue ;
- entre 1 et 5 mSv/an : on peut engager certaines contre-mesures ;
- au-dessus de 5 mSv/an : les contre-mesures sont obligatoires.
La première loi post-accidentelle (22 février 1991) est la loi "sur la protection sociale des citoyens affectés par la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl".
Elle concerne les personnes exposées à des niveaux importants : liquidateurs, populations et travailleurs des territoires contaminés, soit environ 2 millions de personnes (25% de la population biélorusse).
Elle établit les compensations et privilèges (primes, produits et services gratuits, …) accordés à chaque catégorie de personnes.
La seconde loi (12 novembre 1991) est la loi "sur le statut légal des territoires exposés à la contamination radioactive suite à la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl".
Elle réglemente le statut des territoires contaminés, les conditions de vie et l’activité économique et sociale dans ces territoires.
Elle introduit de nouveaux critères de zonage prenant en compte à la fois les taux de contamination du sol en césium 137, strontium 90 et plutonium et les niveaux d'exposition individuels en dose efficace annuelle (voir tableau ci-dessous).
Critères | Statut légal de la zone |
Césium 137 : entre 37 et 185 kBq/m2 Dose individuelle < 1 mSv/an | Zone de contrôle radiologique périodique |
Césium 137 : entre 185 et 555 kBq/m2 Strontium 90 : entre 18,5 et 74 kBq/m2 Plutonium : entre 0,37< Pu < 1,85 kBq/m2 Dose individuelle > 1 mSv/an | Zone de relogement volontaire |
Césium 137 : entre 555 et 1 480 kBq/m2 Strontium 90 : entre 74 et 111 kBq/m2 Plutonium : entre 1,85 et 3,7 kBq/m2 Dose individuelle < 5 mSv/an | Zone de relogement “ultérieur” (relogement des personnes prévu mais non immédiat) |
Césium 137 : > 1 480 kBq/m2 Strontium 90 : > 111 kBq/m2 Plutonium : > 3,7 kBq/m2 Dose individuelle > 5 mSv/an | Zone de relogement obligatoire et immédiat |
Dans un rayon de 30 km autour de la centrale de Tchernobyl | Zone d'exclusion |
L'application des lois post-accidentelles et ses conséquences
Les compensations
La loi du 22 février 1991 "sur la protection sociale des citoyens" accorde diverses compensations aux personnes vivant ou ayant vécu, travaillant ou ayant travaillé dans les territoires contaminés, notamment :
- un congé annuel supplémentaire,
- l'avancement de l’âge de la retraite,
- une augmentation du salaire,
- la garantie d’un suivi médical,
- des primes de vacances,
- des primes pour favoriser l’approvisionnement en nourriture non contaminée.
Statut légal des territoires contaminés
La seconde loi du 12 novembre 1991 "sur le statut légal des territoires" contaminés associe différentes contre-mesures aux zones déterminées par les nouveaux critères. Selon ces critères, 23% du territoire biélorusse est considéré contaminé.
La loi définit les conditions et les modalités de relogement et les conditions de la poursuite ou de l'arrêt des activités économique pour les populations des territoires contaminés.
La réglementation de l'activité économique bouleverse l’économie et la production des régions contaminées
(voir les conséquences économiques de cette loi dans le tableau ci-dessous).
Contamination du sol en 137Cs | > 1 480 kBq/m2 | Entre 555 et 1 480 kBq/m2 | Entre 185 et 555 kBq/m2 | Entre 37 et 185 kBq/m2 |
Dose efficace annuelle théorique | > 5 mSv/an | Entre 3 et 5 mSv/an | Entre 1 et 3 mSv/an | < 1 mSv/an |
Statut | Zone de relogement obligatoire et immédiat | Zone de relogement "ultérieur" (prévu mais non immédiat) | Zone de relogement volontaire | Zone de contrôle radiologique périodique |
Nombre d'habitants concernés (1994) | 251 | 41 928 | 317 301 | 1 490 545 |
Conséquences économiques | Interdiction de construire Arrêt et interdiction des productions agricoles et industrielles | Interdiction | Pas de création d'établissements hospitaliers |
Les autorités biélorusses limitent la présence humaine dans les zones les plus contaminées : relogements définitifs ou temporaires, séjours à l’extérieur des territoires.
Des mesures réglementaires et techniques sont également mises en place pour réduire les niveaux de contamination alimentaire, notamment :
- des incitations à limiter ou arrêter les productions agricoles dans le secteur privé ;
- des contre-mesures systématiques dans le système de production agricole public (sovkhozes et kolkhozes).
Enfin, un système de contrôle radiologique pour les personnes et les aliments est instauré.
En application de ces lois :
- plus de 131 000 personnes sont relogées en Biélorussie,
- 55 000 maisons et appartements sont construits,
- 284 communes sont vidées de tout habitant et de toute activité.
"L'impôt Tchernobyl"
Des difficultés dans la mise en application de ce dispositif législatif apparaissent rapidement.
La loi ouvre des droits à compensation à plus de 20% de la population du pays.
Le gouvernement consacre plus de 10% de son budget à la gestion des conséquences de l’accident. Il est rapidement amené à instituer un nouvel impôt prélevé sur le revenu des ménages, des entreprises et des institutions : l'impôt Tchernobyl.
Dans le même temps, la Biélorussie affronte une grave crise économique.
Les petites productions agricoles privées se développent à nouveau, principalement à des fins d'autoconsommation. L'Etat perd la maîtrise du circuit agricole privé.
Dans ce contexte, les niveaux d'exposition des populations des territoires contaminés - principalement rurales- repartent à la hausse.